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schopenhauer

PAROLES DE SAGES

Respirer interrompt le déroulement du mental, parce que  pour respirer vous devez lâcher. Le pouvoir de la respiration est au-delà de l’esprit discriminateur...La méthode qui consiste à compter ses respirations est une manière d’occuper le mental afin que le mental ne nous occupe pas. Quand nous disons : 1 - 2 - 3 ... cette succession est en réalité une suite de 1 - 1 - 1 ... Indépendant de la mémoire ou de la conscience, cela peut sembler linéaire mais la répétition a un effet mantrique qui soulage le mental séquentiel. Expirer traduit de la compassion. C’est le temps respiratoire du don et du lâcher. Inspirer, c’est recevoir. C’est comme la naissance et la mort. Inspirer, c’est renaître. En d’autres termes, en moi j’ai la capacité d’absorber la vie.

JAKUSHO KWONG

Les efforts qu’un homme fait dans sa vie ne sont pas le seul facteur qui détermine ses conditions de vie,  chaque phénomène est en liaison avec l’ensemble social, avec la nature et avec la continuité du temps. Quelle est la raison de leurs perceptions inexactes des interactions réelles. Il arrive souvent que les gens se trompent sur la cause d’un phénomène. Chaque cause est l’effet d’un phénomène, et chaque effet est la cause d’un phénomène. Ce que l’on prend pour une malédiction peut être une bénédiction. Et ce que l’on prend pour une bénédiction peut être une malédiction.

Une épreuve est une bénédiction quand on s’en sert comme d'un éperon pour son évolution. La réussite est une malédiction quand elle accroît la suffisance et le contentement de soi.

Muso KOKUSHI

Si vous êtes poète, il vous sera facile de voir le nuage qui flotte au-dessus de cette page. Sans le nuage, il n’y a pas de pluie, sans la pluie, les arbres ne peuvent pas pousser et sans arbre on ne peut pas faire de papier. Le nuage est indispensable à l’existence du papier. Si le nuage n’est pas là, la page ne sera pas ici. C’est ainsi que l’on peut dire que le nuage et le papier sont en « inter-être »... Si notre regard pénètre plus profondément dans cette page de papier, on pourra voir le soleil briller. Si le soleil ne brille pas, la forêt ne peut croître. En réalité, rien ne peut croître... et si l’on continue à regarder, on va voir le bûcheron couper le bois et l’apporter au moulin qui va le transformer en papier. Et l’on voit aussi le blé. Nous savons que le bûcheron ne peut pas vivre sans son pain quotidien. Voilà pourquoi, le blé devenu pain est ici présent dans cette page. Le père et la mère du bûcheron y sont ici aussi. Avec un tel regard, on voit que cette page n’existerait pas sans le concours de tous ces éléments. Et si notre regard peut aller encore plus loin, nous nous y verrons nous-mêmes. Ce n’est pas difficile, car lorsque l’on regarde une page de papier, la page est une part de notre perception. Votre esprit est ici ainsi que le mien. Voici pourquoi l’on peut dire qu’avec cette page, tout est là.

THICH NHAT HANH

Entretiens sur la Science des Rêves

L’âme est beaucoup plus compliquée et inaccessible que le corps. Elle est, pourrait-on dire, cette moitié du monde qui n’existe que dans la mesure où l’on en prend conscience. Aussi l’âme est-elle non seulement un problème personnel, mais un problème du monde entier et c’est à ce monde entier que le psychiatre a affaire.

On peut le voir aujourd’hui comme jamais auparavant ; le danger qui nous menace tous ne vient point de la nature ; il vient des hommes, de l'âme de l’individu et de celle de tous. Le danger, c’est l’altération psychique de l’homme. Tout dépend du fonctionnement bon ou mauvais de notre psyché. Si aujourd’hui certaines gens perdent la tête, c’est une bombe à hydrogène qui explose…/… À vingt-cinq ans, mon expérience était insuffisante pour contrôler les théories de Freud ; ce n’est que plus tard que cela vint. En 1903, je repris La Science des rêves et découvris le rapport qu’avait cette œuvre avec mes propres idées. Ce qui m'intéressait en premier lieu dans cet ouvrage, c'était l’utilisation dans le domaine du rêve de la notion de « mécanisme de refoulement » empruntée à la psychologie des névroses. L’importance que j’y attachais tenait à ce que j'avais fréquemment rencontré des refoulements au cours de mes expériences d’associations : à certains mots inducteurs, les patients ne trouvaient pas de réponse associative, ou ils la donnaient après un temps de réaction très allongé. Il m’apparut, après coup, qu’un tel trouble se produisait chaque fois que le mot inducteur avait touché une douleur morale ou un conflit. Or, le plus souvent, le malade n’en avait pas conscience et quand je l’interrogeais sur la cause de ce trouble, il répondait d’un ton souvent très artificiel. La lecture de La Science des rêves de Freud m’apprit que le mécanisme du refoulement était ici à l’œuvre et que les faits que j’avais observés concordaient avec sa théorie. Je ne pouvais que confirmer ses explications. Il en était autrement en ce qui concerne le contenu du refoulement. Là je ne pouvais donner raison à Freud. Comme cause du refoulement, il voyait le trauma sexuel, et cela ne me suffisait pas. Mon travail pratique m’avait fait connaître de nombreux cas de névroses dans lesquels la sexualité ne jouait qu’un rôle secondaire, alors que d’autres facteurs y occupaient la première place : par exemple, le problème de l’adaptation sociale, de l’oppression par des circonstances tragiques de la vie, les exigences du prestige, etc. Plus tard, j’ai présenté à Freud des cas de ce genre : mais il ne voulait admettre, comme cause, aucun autre facteur que la sexualité. J’en fus très peu satisfait…/… Mais, quoi qu’il en soit, Freud avait ouvert une nouvelle voie de recherches et l’indignation d’alors contre lui me semblait absurde…/…l’attitude de Freud vis-à-vis de l’esprit me sembla sujette à caution. Chaque fois que l’expression d’une spiritualité se manifestait chez un homme ou dans une œuvre d’art, il soupçonnait et faisait intervenir de la « sexualité refoulée ». Ce qu’on ne pouvait interpréter immédiatement comme sexualité était pour lui de la « psychosexualité ». J’objectai que poussée logiquement et à fond, son hypothèse menait à des raisonnements qui détruisaient toute civilisation : celle-ci prendrait l’apparence d’une simple farce, conséquence morbide du refoulement sexuel. « Oui, confirma-t-il, il en est ainsi. C’est une malédiction du destin en face de laquelle nous sommes impuissants. » Je n’étais nullement disposé à lui donner raison ni à m’en tenir là…/... Lors du premier entretien d’autres circonstances me parurent importantes ; il s’agissait de faits que je ne pus approfondir et comprendre qu’au déclin de notre amitié. De toute évidence, Freud avait à cœur — et de façon peu ordinaire — sa théorie sexuelle. Quand il en parlait, c’était sur un ton pressant, presque anxieux, tandis que s’estompait sa manière habituelle, critique et sceptique. Une étrange expression d’agitation, dont je ne pouvais m'expliquer la cause, animait alors son visage. J’en étais fortement frappé : la sexualité était pour lui une réalité numineuse. Mon impression se trouva confirmée par une conversation que nous eûmes environ trois ans plus tard (1910), de nouveau à Vienne. J’ai encore un vif souvenir de Freud me disant : « Mon cher Jung, promettez-moi de ne jamais abandonner la théorie sexuelle. C’est le plus essentiel ! Voyez-vous, nous devons en faire un dogme, un bastion inébranlable. » Il me disait cela plein de passion et sur le ton d’un père disant : « Promets- moi une chose, mon cher fils : va tous les dimanches à l’église ! » Quelque peu étonné, je lui demandai : « Un bastion — contre quoi ? » Il me répondit : « Contre le flot de vase noire de... » Ici il hésita un moment pour ajouter : «... de l'occultisme ! » Ce qui m’alarma d’abord, c’était le « bastion » et le « dogme » ; un dogme c’est-à-dire une profession de foi indiscutable, on ne l’impose que là où l’on veut une fois pour toutes écraser un doute. Cela n’a plus rien d’un jugement scientifique, mais relève uniquement d’une volonté personnelle de puissance.

Ce choc frappa au cœur notre amitié. Je savais que je ne pourrais jamais faire mienne cette position. Freud semblait entendre par « occultisme » à peu près tout ce que la philosophie et la religion — ainsi que la parapsychologie qui naissait vers cette époque — pouvaient dire de l’âme. Pour moi, la théorie sexuelle était tout aussi « occulte » — c’est- à-dire non démontrée, simple hypothèse possible, comme bien d’autres conceptions spéculatives. Une vérité scientifique était pour moi une hypothèse momentanément satisfaisante, mais non un article de foi éternellement valable. Sans le bien comprendre alors, j’avais observé chez Freud une irruption de facteurs religieux inconscients. De toute évidence, il voulait m’enrôler en vue d’une commune défense contre des contenus inconscients menaçants. L’impression que me fit cette conversation contribua à ma confusion ; car jusqu’alors je n’avais jamais considéré la sexualité comme une chose fluctuante, précaire, à laquelle on doit rester fidèle de crainte qu’on ne la perdît. Pour Freud la sexualité avait apparemment plus d’importance significative que pour quiconque. Elle était pour lui une religiosité observanda, une chose à observer religieusement. Dans cette ambiance, de telles interrogations et de telles réflexions vous imposent en général réserve et discrétion. Aussi la conversation, après quelques essais balbutiants de ma part, touma-t-elle court. J’en restai profondément frappé, gêné et troublé. J’avais le sentiment d’avoir jeté un regard furtif dans un pays nouveau et inconnu d’où volaient vers moi des nuées d’idées neuves. Il était clair pour moi que Freud, qui faisait sans cesse et avec insistance état de son irréligiosité, s’était construit un dogme, ou plutôt, au Dieu jaloux qu’il avait perdu, s’était substituée une autre image qui s’imposait à lui : celle de la sexualité. Elle n’était pas moins pressante, exigeante, impérieuse, menaçante, et moralement ambivalente ! À celui qui est psychiquement le plus fort, donc le plus redoutable, reviennent les attributs de « divin » et de « démoniaque » ; de même, la « libido sexuelle » avait revêtu et jouait, chez lui, le rôle d'un deus absconditus, d’un dieu caché. L’avantage de cette transformation consistait pour Freud, semble- t-il, en ce que le nouveau principe « numimeux » lui paraissait être scientifiquement irrécusable et dégagé de toute hypothèse religieuse. Mais, au fond, la numinosité, en tant que qualité psychologique de ces contraires rationnellement incommensurables que sont Jahvé et la sexualité, demeurait la même. Seule la dénomination avait changé et de ce fait aussi, il est vrai, le point de vue…/… En somme, il voulait enseigner — du moins c’est ce qu’il me sembla — que, considérée de l’intérieur, la sexualité englobe aussi de la spiritualité ou possède une signification intrinsèque. Mais sa terminologie concrétiste était trop restreinte pour pouvoir formuler cette idée. De sorte que j’eus de lui l’impression qu’au fond il travaillait à l'encontre de son propre but et à l’encontre de lui-même ; or, est-il pire amertume que celle d’un homme qui est pour lui- même son ennemi le plus acharné ? Pour reprendre ses propres paroles, il se sentait menacé par « un flot de boue noire », lui, qui, avant tout autre, avait tenté de pénétrer et de tirer au clair les noires profondeurs…/… Comme il me le dit plus tard, Freud n’avait jamais lu Nietzsche. Désormais je considérais la psychologie de Freud comme une manœuvre de l’esprit, qui, sur l’échiquier de son histoire, venait compenser la divinisation par Nietzsche du principe de puissance. Le problème manifestement n’était pas : « Freud face à Adler » mais : « Freud face à Nietzsche ». Ce problème me sembla avoir beaucoup plus d’importance qu’une querelle de ménage dans le domaine de la psychopathologie. L’idée naquit en moi que l’Éros et que l’instinct de puissance étaient comme des frères ennemis, fils d’un seul père, fils d’une force psychique qui les motivait, qui — telle la charge électrique positive ou négative — se manifeste dans l’expérience sous forme d’opposition : l’Éros comme un patiens, comme une force qu’on subit passivement, l’instinct de puissance comme un agens, comme une force active et vice versa…/… Chaque fois qu’un événement numineux fait fortement vibrer l’âme, il y a danger que se rompe le fil auquel on est suspendu. Alors tel être humain tombe dans un « Oui » absolu et l’autre dans un « Non » qui ne l’est pas moins ! Nirdvandva — « libéré des deux » —, dit l’Orient. Je l’ai retenu !

Le pendule de l’esprit oscille entre sens et non-sens, et non point entre vrai et faux.  C.G.JUNG

le langage n’est pas neutre

I l y a quelques années, je recevais la visite d’un étranger, un Géorgien. Il parlait un        français merveilleux. Je savais qu’il avait longtemps vécu en France, qu’il y avait reçu une culture universitaire, que des alliances familiales l’y ramenaient périodiquement. Mais la qualité de sa langue, une richesse et une sûreté de vocabulaire qui venaient, comme à point nommé, servir les moindres nuances de la pensée, une pureté d’accent qui, sans outrer jamais, respectait les harmoniques les plus subtiles, les plus spécifiquement françaises, ne laissaient pas, tout bien considéré, de me surprendre. Sans parler d’une syntaxe infaillible…/… J’avais eu la même impression, au Canada, en m’entretenant avec un professeur de Toronto. Canadien anglais, il était titulaire d’une chaire de littérature française du seizième siècle. Sur nos lettres de ce siècle-là, sur Montaigne, sur Rabelais, sur la Pléiade, il était aussi informé, aussi disert que sur nos crus bordelais ou bourguignons et même sur la relative excellence de leurs millésimes respectifs. Je me demande aujourd’hui, en retrouvant ces deux souvenirs, s’il ne faudrait pas nous souhaiter, de temps en temps, un de ces bains de Géorgie ou d’université ontarienne, un réflecteur de son dont la froideur de miroir, offerte aux mots que nous disons, nous en renverrait aux oreilles un écho sans indulgence…/… le langage n’est pas neutre. Né d’une culture, expression d’une culture, dépositaire et mandataire d’une culture, il n’a pas le droit d’être neutre, de céder au laisser-aller, d’agir ainsi désastreusement sur les structures mentales d’un peuple. C’est bel et bien d’une crise de civilisation qu’il s’agit. Dès que les mots n’osent plus ou ne savent plus nommer, ils deviennent tabous, ils font peur. Au lieu de signifier, ils voilent, ils dérobent et dès lors ils trahissent. Alors les vertus de clarté qui sont celles du bien-dire, du bien-écrire, font place à toutes les confusions. Les mots sont devenus des moyens d’intimidation, les instruments d’un terrorisme qui voit dans le langage, avec raison, l’un des premiers bastions à miner et à détruire. Est-ce dramatiser à l’excès? C’est seulement anticiper. Maurice GENEVOIS

La perversion du langage et ses conséquences

En linguistique, les philosophes soulignent la difficulté de l’expression véridique. Un biais involontaire du langage vis-à-vis de la pensée. NIETZSCHE affirme que « Le langage, s’il apparaît comme la condition de l’action, n’exprime pas le réel. « Les mots n’ont d’autre signification que celle que vous leur avez donnée, le langage travestit la pensée, il est mensonger », dit WITTGENSTEIN. Selon la pensée orientale, l'expression du réel n'est pas réductible au concept, encore moins au langage. Ce sont des vérités indémontrables. Victor Klemperer, George Orwell et un peu plus tard Hannah Arendt  se sont penchés sur le fonctionnement du langage distordu souvent relayé par le monde médiatique, voire politique. La rhétorique d’un gouvernement totalitaire dévoie progressivement la langue du peuple.  Le langage peut donc être le moyen d’une action d’assujettissement. Un homme politique retirera le bénéfice souhaité grâce à la confusion portée par le double sens de certains mots et au besoin, fabriquera d’autres termes utiles dans l’instant, car les nouveaux enjeux sont là dans les affaires démocratiques, comment manipuler l’expression en attendant d’asservir.  Avec les   nouveaux médias, les impacts, de la propagande, de la publicité et des fausses nouvelles, ont décuplés, révélant les pièges des technologies de communication. Au prétexte d'éco-responsabilité, chaque individu devrait  verser dans le numérique intégral. Or de nombreux courants de pensée dénoncent cette politique du tout électrique vendue comme écologique en démontrant la nécessaire sobriété énergétique. La consommation des centres de données n'a rien de virtuel et le retour au texte papier devient une nécessité.  A l’heure d’Internet ou plutôt devrait-on dire à la seconde, une kyrielle de partis pris, souvent haineux, s’est répandue dans l’esprit du grand public. L’être humain a besoin de dire ce qu’il pense même s’il ne maitrise pas tous les énoncés sur tel ou tel sujet en vogue.  Une aubaine, autant pour les réseaux dits sociaux que pour les médias traditionnels qui lui ont donné la parole afin de remplir l’information. C’est ainsi que progressivement le manichéisme de masse s’est installé. L’histoire a démontré que de tout temps, de petits groupes d’individus ont élaboré des théories du complot afin de faire vaciller l’entente des hommes, des peuples ou des états.  En linguistique, un cas d’école, le vocable « complotisme » est pratiquement devenu un paradigme, dans la rhétorique institutionnelle.

industrie du complotisme

Son utilisation dans le débat public ou même privé est devenue une arme fréquente visant à exclure l’interlocuteur du champ même des idées, au point qu’aujourd’hui il faudrait en conclure que certaines interrogations doivent être refoulées du débat démocratique ? Quand les disputes de mots vidés de leurs sens étymologique, volontairement ou non, s’invitent dans les débats sociétaux, la haine se cristallise et renvoie les protagonistes dos à dos. La société se retrouve alors dans une impasse, aux prises avec une colère sans fin. Dans un état d’urgence permanent, la démocratie fait place à une gouvernance autoritariste. Les contre-pouvoirs existants dans les quelques républiques se retrouvent affaiblis et la liberté est en danger.

La technologie dans son essence, ne perdure que si elle innove et toute tentative de régulation aujourd'hui sur le plan éthique semble vouée à l'échec, car le marché mondial de l'IA seule, est estimé à 380 milliards de dollars à l'horizon 2030, CQFD. Dans quelle mesure peut-on parler de "compréhension" pour qualifier les progrès des "IA" qui, par définition, ne sont autres que des algorithmes inspirés du cerveau humain ?    "ChatGPT" a "popularisé" la notion d’Intelligence Artificielle auprès du grand public et la confusion persiste …H Arendt affirmait " tout se passe comme si notre cerveau, qui constitue la condition matérielle, physique, de nos pensées, ne pouvait plus suivre ce que nous faisons, de sorte que désormais nous aurions besoin de machines pour penser et pour parler à notre place ", et soulignons que Hawking  avait déclaré que « L’Intelligence Artificielle pourrait mettre fin à l’humanité » lors d’une interview à la BBC accordée en 2014. Nous continuons d'atrophier le sens que nous accordons aux mots avec l'apparition de ces nouveaux modèles technologiques.  Au 21°siècle le contrôle social s’est accru avec le développement de la techno-science, facilité par la léthargie des masses. Dans toute société le totalitarisme se déploie en commençant par s’appuyer sur les « idiots utiles ».  Dans la période d’exaspération, que fut le confinement des populations, dialogues, chroniques ou éditoriaux ont pris des postures éclectiques et dogmatiques. En 2019 quelques centaines de chercheurs dénonçaient déjà les biais idéologiques dont faisaient preuve les médias généralistes ou scientifiques. Les pressentiments, les croyances personnelles injustifiées, d’avant la pandémie se sont transformés en convictions durant la « période virtuelle ». Seul, face à l’’ordinateur, l’individu s’est radicalisé. Les interlocuteurs se sont éloignés les uns des autres. Derrière l’Internet, chacun s’est persuadé du bien-fondé de son mode de pensée. L'effet boomerang ne s'est pas fait attendre,  l’utilisation du terme « complotiste » est devenue un argument courant dans le débat politique. L’adversaire est désormais catapulté littéralement dans la sphère des personnages burlesques et infréquentables. Sous l’emprise de la novlangue les mots utilisés se vident progressivement de leurs significations, on ne cherche plus corollairement le dialogue avec l’autre pour obtenir la reconnaissance de la légitimité de son point de vue. Le socle d'une compréhension commune vacille. La défiance et Les réflexes binaires s'installent. L’inquiétude économique se double aujourd’hui, d’une aversion, pour la réflexion, la culture ou la transmission de l’histoire dès lors qu’il faut méditer, jauger le pour et le contre.  Le cynisme des discours et des pratiques qui dominent la société moderne soumise au capitalisme financier et à la logique du profit continue de pétrir les masses.  Les « complotistes » seraient-ils donc les seuls aujourd’hui à se poser des questions ? L’actualité politique, médiatisée, exhibe chaque jour des bribes de la perversité des débats. L’Invective se substitue à l’argument et au jugement critique. Pris dans un flot incessant de mots les interactions sont noyées dans une logorrhée verbale que l’IA, "générateur bavard", achève d’exalter.  G.O.

bouddha

Un homme raisonnable

Les contacts autour de nous avec la brutalité et l’envie, le plaisir de nuire et une haine souvent incompréhensible sont toujours effrayants, bien que nous dussions savoir que la majorité des hommes ne sont que des demi-humains et qu’il y a chez eux de vrais bêtes sauvages. Nous sommes cernés et menacés par la méchanceté comme par la mort.

La crainte que nous éprouvons vient peut-être de ce que, sans aller jusqu’à lui répondre par la méchanceté, nous savons ou nous pressentons que les conditions de vie de la majorité des hommes sont indignes et doivent naturellement produire cette méchanceté, de sorte que les mieux élevés, les mieux nantis, ont une part secrète de l’horreur de telle ou telle situation.

Je préfère de loin un enthousiaste converti qui a d’abord été passionnément patriote et combattant et qui aujourd’hui, avec une passion nouvelle, est révolutionnaire et internationaliste, à celui qui a  regardé les deux camps avec tiédeur et avec une indifférence modérée. Les opinions ne m’intéressent, que lorsqu’elles sont suivies d’actes et de sacrifices. Je préfère un homme qui est à l’opposé de mes idées mais qui me plait et me fait impression en tant qu’individu à celui qui, ayant les mêmes opinions, est peut-être un lâche ou un bavard. Ce qui se passe dans le monde est une des dernières étapes de l’effondrement de l’économie capitaliste qui a dépassé son apogée et son sens et qui doit faire place à quelque chose de neuf. La vie privée, individuelle, menacée, par la mécanisation, par la guerre, par l’état, par les idéaux de masse, voilà ce que j’ai voulu défendre. Je savais bien qu’il ne faut souvent pas moins de courage pour être modestement humain que pour poser en héros.

Je tiens pour défendu l’emploi de la violence en toutes circonstances, même lorsqu’il à lieu dans l’intérêt du « bien ». L’homme raisonnable cherche le pouvoir, ne serait-ce que pour faire le « bien ». mais c’est là qu’il court le plus grand danger, dans cette lutte pour le pouvoir, dans le mauvais usage de celui-ci, dans le fait de vouloir commander dans la terreur.

Trotski qui ne pouvait supporter de voir rosser un paysan fait abattre sans scrupule des milliers d’hommes au nom des idées. La plupart des hommes n’ont pas d’idées personnelles, seulement celles de leur caste. Les capitalistes comme les socialistes sont à 99 pour cent partisans d’idées que leur esprit est incapable de vérifier. Tout homme est quelque chose de personnel et d’unique. Vouloir mettre une conscience collective à la place de la conscience individuelle, c’est déjà une violence et un pas vers le totalitarisme.

Ce que nous devons changer c’est nous-même. Notre impatience et notre égoïsme, notre facilité à être offensé, notre manque d’amour et d’attention. Tout nouvel essai pour changer le monde, quand il partirait des meilleures intentions, je le tiens pour inutile.

J’ai souvent vu une salle pleine de gens, une ville pleine de gens, un pays plein de gens saisis de ce transport, de cette ivresse qui transforme toutes ces personnes en unité, en masse homogène. Tout ce qui était individuel s’éteint alors et l’enthousiasme que suscite le fait de n’avoir plus qu’une pensée, de sentir confluer tous les instincts en un seul instinct de masse remplit des milliers, des millions d’hommes d’une fierté, d’une joie de se donner soi-même, d’un renoncement, d’un héroïsme qui se manifestent d’abord par des appels, des cris, des scènes de fraternisation dans l’émotion et dans les larmes et qui s’achèvent dans la guerre, la folie et les flots de sang.

Tu as raison de dire que nous sommes sans défense contre l’état et les pouvoirs de même sorte. Mais tu te trompes entièrement lorsque tu en tires la conclusion qu’il nous faut lutter en nous montrant sans scrupule. Critiquer le monde parce qu’il est sans scrupule et n’en avoir pas davantage.

C’est notre privilège, notre noblesse que d’avoir des scrupules, de ne pas nous croire tout permis, de ne pas participer à la haine, aux massacres et à toutes les autres saloperies. L’attitude grossière du « je dis merde à tout », ce n’est pas vous autres qui l’avez inventée. On l’a déjà vu cent fois dans l’histoire, on peut l’admettre, la comprendre comme réaction d’hommes faibles et inéduqués devant la cruauté d’une tyrannie, mais on ne peut l’approuver ni la déclarer juste. Il existe pour moi deux histoires de l’homme, l’une est politique, l’autre spirituelle. Ni dans l’une ni dans l’autre, on ne constate quelque chose qui ressemble à un progrès. Que Samson abatte les Philistins avec sa mâchoire d’âne ou qu’Hitler envoie ses fusées sur l’Angleterre, c’est la même chose. Et de la philosophie des Upanishads jusqu’à Heidegger, le progrès n’apparaît pas davantage. Pourtant les deux histoires différent grandement. L’histoire dite mondiale, qu’on l’ouvre à n’importe quel chapitre, on la trouve odieusement cruelle, diabolique. Au contraire l’histoire des langues, de la pensée, des arts est à chaque pas pleine d’images et de belles fleurs. Je ne crois pas que l’humanité future sera meilleure, qu’elle ne s’améliore  jamais ou qu’elle empire, elle reste la même. Les incursions du démoniaque dans le domaine de humain n’ont pas seulement lieu en secret chez les criminels ou les psychopathes, elles se manifestent souvent au grand jour sur la scène du monde, déterminent les politiques et entraînent des peuples entiers. H.HESSE

Entretien avec Stockhausen

 

Il y a certainement quelque chose de magique dans la volonté de penser qu'une construction musicale, au sens neutre, acquiert son importance et sa signification du seul fait de son pouvoir auto-téléonomique.

Nous lisons des textes sur les destructions à venir. Même lorsqu'il m'arrive de parler à des gens très lucides, j'ai l'impression qu'au fond d'eux-mêmes ils espèrent bien qu'ils trouveront un chemin pour s'enfuir. Ils pensent peut-être  que tout cela c'est des mots, que les scientifiques qui parlent de ces destructions ne le font que pour utiliser le bon vieux truc de l'épouvantail et pour que l'on puisse échapper aux crises futures.

Tous ces gens ne pensent pas que cela va vraiment arriver. Et pourtant nous allons devoir traverser ces crises à la fin de ce siècle et au début du suivant. L'être humain est bombardé en permanence de rayons cosmiques, qui ont leur structure atomique et leur rythme interne propre. Ils transforment la structure de l'être humain et, par là tout le système. Nous sommes un système électrique. N'oublions pas que nos corps sont destinés à mourir et pour ainsi dire renaître sous une autre forme. Le système électrique que nous sommes se trouve modifié par les ondes qui le traversent. Une machine, un ordinateur sont des prolongements naturels de l'esprit.

Quand je commence à jouer, j'ai appris à ne plus penser à moi-même. Dès lors que je joue, je suis parti, je suis les sons, je suis le processus de la musique. Quand tout est fini, je retombe, je me remets à penser et à prendre conscience de tout ce qui m'entoure. Lorsqu'un musicien, par la méditation, devient un instrument merveilleux et se met à résonner lui-même, c'est de la musique intuitive. J'ai assisté à des évènements mis sur pied par le sculpteur français Schoeffer et Pierre HENRI. Ils avaient imaginé une sorte de construction lumineuse et sonore installée sur la tour Eiffel. L'humidité de l'air, la vitesse du vent et la température étaient analysées en permanence, transformées en énergie électrique et perçues grâce à d'immenses haut-parleurs. Les différents paramètres sonores variaient d'après les forces de la nature. Il n'y a que dans la forêt que l'on peut entendre le son bouger, en écoutant les oiseaux. Avec les avions aussi, ou les voitures qui passent, on entend l'effet Doppler. Mais finalement ce qu'est la musique, je n'en sais rien. La pensée Aristotélicienne, selon laquelle on peut parler de l'objet, sans parler du sujet, est définitivement révolue. G.GUNTHER écrit qu'il est possible d'imaginer une pensée post-hégélienne et à plus forte raison post-aristotélicienne inscrite dans un système logique à trois ou "n" dimensions, où n'existerait plus cette opposition élémentaire entre le sujet et l'objet. Il n'y a pas de perception sans le perçu et de perçu sans perception.

Les gens croient qu'ils sont dans le monde, alors qu'ils sont le monde.

Dans la nature, l'emploi inégal des paramètres détermine la divergence des espèces.

A partir du moment où vous êtes indépendant vous vous exposez à des critiques qui viennent de toutes parts, mais il est plus intéressant de chercher à comprendre plutôt que de poser une question et de porter un jugement. Londres 1972

SOCIETE DE MASSE

philosophie

La difficulté avec la société des périodes modernes est que ses membres, même après s’être délivrés des nécessités de la vie, ne peuvent se libérer des préoccupations en rapport étroits avec eux-mêmes, leur rang et leur situation dans la société, la réflexion sur leur moi individuel ; ils n’entretiennent aucune relation d’aucune sorte avec le monde d’objets et d’objectivité où ils se meuvent. La difficulté relativement nouvelle avec la société de masse est peut-être encore plus sérieuse, non en raison des masses elles-mêmes, mais parce que cette société est essentiellement une société de consommateurs, où le temps du loisir ne sert plus à se perfectionner ou à acquérir une meilleure position sociale, mais à consommer de plus en plus, à se divertir de plus en plus. Et comme il n’y a pas assez de biens de consommation alentour pour satisfaire les appétits croissants d’un processus vital dont la vivante énergie, qui ne se dépense plus dans le labeur et la peine d’un corps au travail, doit s’user dans la consommation, tout se passe comme  si la vie elle-même sortait de ses limites pour se servir de choses qui n’ont jamais été faites pour cela. Le résultat est non pas, bien sûr, une culture de masse qui, à proprement parler, n’existe pas, mais un loisir de masse, qui se nourrit des objets culturels du monde. Croire qu’une telle société deviendra plus « cultivée » avec le temps et le travail de l’éducation est, je crois, une erreur fatale. Le point est qu’une société de consommateurs n’est aucunement capable de savoir prendre en souci un monde et des choses qui appartiennent exclusivement à l’espace de l’apparition au monde, parce que son attitude centrale par rapport à tout objet, l’attitude de la consommation, implique la ruine de tout ce à quoi elle touche.

Hannah Arendt

roqueplo
langagepouv
philosophie
pouvoir et langage

La maîtrise du monde, c’est en d’autres termes la culture (entendue dans son sens le plus large, comme l’ensemble des moyens dont les hommes disposent pour modifier la nature à leur avantage). Or des analyses nombreuses et convergentes tendent à prouver que cette partie de la culture qu’est la langue occupe, au sein de l'ensemble, un statut tout à fait privilégié, puisque la façon dont une langue est organisée

« coïncide » en quelque sorte avec l’organisation de l’ensemble de la culture correspondante. Comment, d’une façon générale, les multiples éléments constitutifs d’une culture semblent correspondre à la façon de nommer les choses dans le groupe porteur de cette culture.

(Par exemple, les « découpages » de la suite des couleurs induisent des significations et des nombres variables de noms de couleurs.) Si la variété des langues ne reflétait que la diversité des « étiquettes » servant à désigner par ailleurs à peu près les mêmes choses, les traductions

dites « mot à mot » seraient parfaitement claires  et l’on sait à quel point elles ne le sont pas, même entre langues parlées par des populations culturellement proches.

En ce sens, on peut donc affirmer que les mots ont un très grand pouvoir, puisque c’est à travers eux que se structure la perception de l’univers dans lequel nous vivons.

Et ce pouvoir en induit bien d’autres, celui de manifester malgré soi des pensées ou des désirs pourtant inconscients, si l’on en croit la psychanalyse, celui de dominer politiquement ou socialement.

Ce pouvoir est particulièrement manifeste si l’on considère la forme écrite du langage. Selon Lévi-Strauss, il conviendrait même d’associer l’apparition de l’écriture dans la préhistoire et les premières formes systématiques d’exploitation de l’homme. Le pouvoir du langage se traduit enfin quotidiennement par les écarts qu’il creuse entre les individus comme entre les catégories sociales. De fait, au sein même de chaque société, tous ne maîtrisent pas le même  « niveau » de langue et l’on sait bien que toutes les façons de s’exprimer ne se valent pas, au sens où les unes favorisent bien plus que d’autres l’accès à des positions et à des savoirs privilégiés.

Rappelons les voies particulièrement significatives ouvertes par la philosophie analytique anglaise.

Lorsque J.-L. Austin qualifie de « performatifs » (du verbe anglais to perform, accomplir) les énoncés du type « je baptise ce bateau le Queen Elizabeth » ou « je lègue ma montre à mon frère », il démontre bien qu’il est des cas où parler ce n’est pas seulement décrire ce que l’on est en train de faire, ou affirmer qu’on le fait — c’est le faire. Le langage n’est pas cela aussi, il est surtout cela, l’art d’agir sur les autres et sur le monde.

Dans la servitude volontaire.

Le détournement de sens de certains mots, évoque la novlangue orwellienne.

L’hégémonie croissante de l’anglais est une conséquence de la mondialisation.

Toutes les langues sont menacées par le phénomène d’hégémonie linguistique.

Un seul idiome représente un système de pensée unique et détruit la diversité culturelle.

Des syndicats et associations allemands, français, italiens et québécois ont dénoncé l'hégémonie de la langue anglaise au travail et défendu le droit pour chaque salarié de travailler dans sa langue nationale dans son pays.
Dans les sociétés de masse, les productions culturelles sont au service des classes dirigeantes, selon le philosophe et sociologue britannique Stuart Hall.

Le capitalisme global a besoin, pour fonctionner, d’un milieu transparent et facile à gérer, or les différences linguistiques et culturelles font obstacle au commerce et au profit.

 

Les médias, qui sont responsables de la description et de la définition des événements survenant dans le monde, fixent le langage à partir duquel est produite la signification, en cela ils assurent l’hégémonie.

 

La plupart des experts en linguistique s’accordent à dire pourtant qu’il est impératif d’avoir une base solide dans sa langue maternelle afin d’apprendre autre chose, que ce soit une seconde langue ou, plus généralement, des disciplines comme la géographie et les mathématiques. Dans de nombreuses communautés, l’absence de littérature pour enfants rédigée dans la langue locale freine l’alphabétisation dès le plus jeune âge. Chaque langue cimente le peuple et sa culture. La diversité linguistique nous est tout aussi inconditionnellement indispensable que la biodiversité. Chaque année plus de vingt langues disparaissent dans le monde et avec cette situation se réduit le champ des possibles linguistiques tels que l'objet sonore, la gestuelle, les signes.

Des spécificités liées aux différents idiomes permettent des cheminements différents.  

 

Condamner l’université, la recherche et la science au monolinguisme, c’est automatiquement les appauvrir, parce que nous nous efforcerons de penser dans une seule langue. Il faut souligner que les habitants des pays anglophones figurent parmi les mauvais élèves en matière de plurilinguisme.

L’anglais devient la clé pour séduire les pairs et les experts détenant le pouvoir d’accorder des postes et des crédits.

Albert Camus disait que la langue Française était sa patrie. Elle est confrontée aujourd'hui au fatras de la langue (de bois) d'Internet, le détournement consécutif du sens. Les anglicismes envahissent les médias, la publicité, l'industrie, les" bobos" ou les "beaufs".

Le pouvoir dominant d'une région, d'un pays, adopte souvent la langue de l'autre pour essayer d'en tirer parti, aujourd'hui avec l'anglais la situation est grave car les milieux commerciaux ou publicitaires considèrent l'anglicisme comme moteur du marché et la culture propre comme ringarde.

Choisissez… "Coach" au lieu d'"entraîneur" ?... "emploi du temps" ou"planning" ?... "Challenge" à la place de "défi" ?...

Avec la transformation de la langue, nous assistons à l'installation d'un horizon de pensée totalitaire dans lequel doivent se cadrer tous les débats. L'hégémonie "enfle" sur tous les tableaux et le politiquement correct utilise l'arme de l'ironie envers ceux qui la dénonce car n'ayant lui-même aucun autre argument de valeur à disposition.

langue et robot
rêveries HUGO

Les Contemplations V.HUGO

 

Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant.

La main du songeur vibre et tremble en l'écrivant ;

La plume, qui d'une aile allongeait l'envergure,

Frémit sur le papier quand sort cette figure,

Le mot, le terme, type on ne sait d'où venu,

Face de I'invisible, aspect de I'inconnu ;

Créé, par qui ? forgé, par qui ? jailli de I'ombre ;

Montant et descendant dans notre tête sombre,

Trouvant toujours le sens comme l'eau le niveau ;

Formule des lueurs flottantes du cerveau.

Oui, vous tous, comprenez que les mots sont des choses.

Ils roulent pêle-mêle au gouffre obscur des proses,

Ou font gronder le vers, orageuse forêt.

Du sphinx Esprit Humain le mot sait le secret.

Le mot veut, ne veut pas, accourt, fée ou bacchante,

S'offre, se donne ou fuit ; devant Néron qui chante

Ou Charles Neuf qui rime, il recule hagard ;

Tel mot est un sourire, et tel autre un regard ;

De quelque mot profond tout homme est le disciple ;

Toute force ici-bas a le mot pour multiple ;

Moulé sur le cerveau, vif ou lent, grave ou bref,

Le creux du crâne humain lui donne son relief ;

La vieille empreinte y reste auprès de la nouvelle ;

Ce qu'un mot ne sait pas, un autre le révèle ;

Les mots heurtent le front comme I'eau le récif ;

Ils fourmillent, ouvrant dans notre esprit pensif

Des griffes ou des mains, et quelques-uns des ailes ;

Comme en un âtre noir errent des étincelles,

Rêveurs, tristes, joyeux, amers, sinistres, doux,

Sombre peuple, les mots vont et viennent en nous ;

Les mots sont les passants mystérieux de l'âme.

soleil de la mer

Une étoile qui pleure tout au fond de l’éther

Des regrets lancinants partant vers cette étoile

Révoltante douleur qui me tient dans sa toile

En prenant ma chaleur tout au fond de l’hiver

 

Pour la vie éclatée partout dans l’univers

N’être que le témoin, le témoin sans puissance

Est un moment cruel dans la désespérance

Intolérable coup contre un bonheur si clair

 

Heurtant tout l’édifice bâti au cours des mois

Chacun des souvenirs évoqués me troublait.

Ne voulant pas céder à ce grand désarroi,

 

Où tourner mes regards dans le feu qui brûlait ?

…Mon refuge était là, contre tout ce qui blesse

Apaisant mon chagrin dans sa douce sagesse.

Gabrielle B. 1975

murmures

Lointaine école

Là où vivaient encore la clarté des cieux, où les plantes des marais exhalaient parfois quelques odeurs enivrantes, où le regard portait jusque loin vers l’horizon, dans la fraicheur du soir, elle revenait, sillonnant quelques routes à bicyclette, la journée d’enseignement accomplie. C’était dans les années soixante. G.O

Bien plus loin que l’an deux mille que je n’étais pas sûre d’atteindre, j’ai pourtant entamé allègrement le troisième millénaire. Vieux cahiers, vieux souvenirs. Dans la France profonde, un tout petit village menacé d’extinction de par la mort de son école. Dans les années soixante, l’Ecole Communale était alors un sanctuaire. Chaque nouveau ministre de l’Education Nationale y allait de sa réforme, pour se faire remarquer sans doute et laisser son nom à l’histoire, mais à ma connaissance aucun n’a jamais égalé Jules Ferry.

lointaine école

Mes derniers souvenirs se taisent…partie de ma lointaine école, j’ai aperçu la très vieille école de la fin d’un autre siècle. J’espère que celle d’aujourd’hui lui ressemble. Si oui gardez-la précieusement :

il n’y en a qu’une au monde ! Ne la laissez pas se diluer dans le « progrès » Gabrielle B

silence
univers109l

Le silence est physique, psychologique, émotionnel, sensoriel, spatial.

Les nuisances sonores et le stress sont étroitement liés. Le silence, produit l’effet inverse : l’absence de bruits libère le corps et l’esprit du stress. Plusieurs fonctions cardiovasculaires, comme la pression sanguine et la respiration, se modifient lorsque nous sommes dans un environnement calme. Notre cerveau s’active, même lorsque nous dormons. Il traite les informations et l’absence d’interférence extérieure facilite ce processus. Le cerveau peut alors correctement intégrer les émotions et les souvenirs, ce qui développe l’imagination et la créativité.

Le silence est rare dans la vie actuelle. En certains lieux, le bruit atteint des niveaux sonores prodigieux, interdisant toute pensée…
Le fond sonore met en mouvement les corps et emprisonne la pensée. La parole même est soumise au bruit. Beaucoup de jeunes, en particulier, semblent rechercher ce bruit qui les met en mouvement. Le silence est ennuyeux en ce qu’il ne les anime pas. Pourtant, le silence est indispensable au développement de sa propre culture. On ne peut pas méditer, réfléchir, dans le bruit.

Le silence visuel n’est pas épargné. Le panneau, l’écran, sont les maîtres.

Le silence est devenu une denrée rare. Notre monde est un monde bruyant. Surtout dans les agglomérations de nos sociétés dites civilisées. Depuis l’enfance, le bruit est un environnement familier. Casques, portables, radio, télévision, disques, circulation automobile…

Le monde estime avoir quelque chose à dire, à publier.

L’expression, l’information, ne vit que quelques heures, bientôt éclipsée par la suivante, elle participe du brouhaha, dans lequel il s’agit de distinguer une vertu, une vérité.  
Grâce à la puissance de la technique, l’abondance devient surabondance. « Toujours plus » est la règle. Notre esprit se noie dans un empilement continu d’informations. Diffusion rapide de la connaissance, créativité intellectuelle,  recherche de nouveaux modèles, esprit de débat propre à la démocratie. Comment, dans tout ce chaos, la vérité ne serait-elle pas étouffée ?

Toute cette technologie sophistiquée ne peut nous faire oublier que nous sommes les acteurs de notre destinée.

L’état de silence est un moyen d’atteindre une autre partie de notre esprit qu’il ne serait pas possible d’explorer durant notre routine quotidienne.

Jadis, la société baignait principalement dans le silence parsemé par moment d’évènements bruyants. Maintenant, c'est l'inverse. Le silence est devenu un luxe. Pour trouver un silence de qualité, il faut pratiquement se retirer en montagne ou dans des centres de méditation. Le monde technologique dévore les espaces de sérénité. Pourtant l'apprentissage de la solitude  et du silence sont sources de nouvelles idées. Le silence au XXI siècle est loin de notre quotidien.

Il faut, faudrait ?, recréer des lieux où le silence est possible.

Des lieux d’écoute, d’attente, d’inspiration.

Aucune méditation ne peut avoir lieu dans le bruit, aucune écoute non plus.

Le silence équivaut à débrancher votre téléphone. Votre esprit a besoin de se recharger et il le fait encore mieux dans le silence que pendant le sommeil.

Aucun doute, le silence est d'or. G.O

illusion

L’humanisme n’est donc pas seulement utile, mais il est nécessaire

 

On peut penser qu’il n’y a que l’homme qui puisse parler de l’homme. Nietzsche a montré que l’au-delà de l’humain n’est pas l’inhumain ou l’antihumain. Si nous prenons les oeuvres de Paul Klee ou de Picasso, on est en droit de se demander où est l’image de l’homme. Toute création ou toute pensée a nécessairement besoin de se situer dans un « par-delà » humain pour chercher la respiration et les fondements d’où l’homme ne s’est pas encore donné comme image. C’est pourquoi l’humanisme avec ses notions d’ordre, de mesure, d’équilibre, d’harmonie, contient en lui-même le revers de sa propre médaille. A une image positive, pleine et saturée de l’homme, correspond toujours une image non dite, négative et inhumaine. En ce sens, l’art est inhumain, comme l’amour, la passion et la mort : l’irrationnel est la face occultée de l’humanisme, du moins l’aspect de l’homme qui a été le plus refoulé dans nos sociétés. Actuellement, c’est le retour du refoulé et l’homme moderne ne se reconnaît plus dans ses propres productions et ses créations. Seuls, quelques poètes, comme le pense Heidegger ont reçu en dépôt de « conserver la mémoire de l’homme en ces temps de détresse »

On ne peut maintenir la réflexion à l’égard de l’homme du seul point de vue idéologique et dialectique :

l’homme, en effet, n’est jamais un moment ou un rouage du fonctionnement des sociétés et du devenir de l’histoire. Il n’est pas davantage le seul produit de nos illusions et de nos fantasmes. Les révolutions et les combats politiques n’ont un sens que si l’homme est posé comme but et finalité de la pratique, s’il est posé comme une réalité. Ne pas inclure l’idée d’homme, c’est se priver de la référence ultime au nom de laquelle le monde a un sens et le combat politique a une raison d’être. C’est pourquoi toute philosophie suppose qu’elle éclaire à l’intérieur d’elle-même les principes qui la fondent comme humanisme. Si tant de crimes, en effet, ont été commis, au nom de l’humanisme, c’est d’abord parce que l’homme n’a pas été respecté dans sa dignité et sa transcendance. Face à la barbarie et au totalitarisme, l’humanisme apparaît comme le manteau protecteur d’une société qui ne doit pas penser contre l’homme, mais pour lui. Ainsi l’ont compris Camus ou Sartre pour lesquels l’homme est un horizon indépassable : l’homme est l’espoir qui nous permet d’espérer au-delà même de toute espérance, c’est pourquoi il ne peut être simple illusion ou réalité fictive. La croyance en l’homme est le fondement d’une humanité qui cherche à s’achever, mais dont les échecs à se libérer sont autant de raisons de lutter et de combattre. Si l’humanisme porte en lui sa propre terreur, l’absence de référence à l’homme permet tous les arbitraires et les régimes totalitaires.

La violence faite à l’homme contemporain est particulièrement dramatique et la défense des droits de l’homme devient l’ultime message par lequel l’homme peut se faire entendre. Cette idée que l’homme est un être transcendant, que ses droits sont sacrés, que sa dignité ne soit pas quelque chose qui s’aliène, se marchande ou se manipule, est ce qui doit demeurer toujours présent à la conscience lucide et révoltée. Toute violence faite à l’homme est un saut dans la barbarie, elle est une régression dans l’histoire. L’humanisme n’est donc pas seulement utile, mais il est nécessaire. Il est le champ théorique et pratique dans lequel une morale de l’homme suppose une éthique de la personne. La violence, qu’elle soit révolutionnaire ou institutionnelle, ne peut être qu’un moment vers la libération de l’homme. Elle n’a, de ce fait, aucune justification en elle-même et toute société doit pouvoir assumer cette violence pour vouloir l’homme toujours et davantage homme. M. RICHARD.

hommenu

L HOMME NU       M.DUGAIN – C.LABBE

 

La dictature envisagée par Orwell dans 1984 était inspirée des modèles connus de tyrannie avec leur cortège de brutalités. Le monde des big data met sous cloche les individus, de manière beaucoup plus subtile et indolore. Les données s’empilent sans autre objet que d’alimenter des bases à visée commerciale, dans lesquelles les services peuvent piocher à discrétion quand un homme connecté devient suspect.

Il n’est probablement pas loin le jour où, en accompagnement de l’urne funéraire qui recèle les cendres du défunt, sera proposé aux familles l’ensemble des données numériques accumulées au cours de sa vie, comme l’historique indigeste de son existence contenant son dossier médical, ses émotions, ses habitudes de consommation, ses préférences sexuelles et intellectuelles.

Depuis le début du XXe siècle, un écart croissant s’est creusé entre l’omniprésence de la technologie dans notre quotidien et le faible niveau de compréhension que nous en avons. Le grand public est tenu à distance des enjeux qui se dessinent, mal informé par une industrie qui privilégie l’opacité à l’abri de laquelle prospèrent ses intérêts économiques. Les avantages à court terme des données massives occultent cette transformation majeure dans l’histoire de l’humanité qu’est l’asservissement volontaire à un système d’information.

Les big data déploient suffisamment d’énergie à promouvoir les bénéfices de la révolution numérique pour qu’il soit inutile ici de les rappeler. Nous ne nous attarderons donc pas sur les effets positifs de la révolution numérique, mais plutôt sur la menace sournoise qu’elle fait désormais peser sur notre liberté individuelle, la vie privée, notre droit à l’intimité, et plus généralement sur le danger qu’elle représente pour la démocratie. Le fascisme et le communisme ont brisé des millions d’êtres humains, mais ils ne sont pas parvenus à les transformer, ni à les rendre transparents.

L’homme nu est dans les fers sans souffrance immédiate. Avant la fin de ce siècle, il sera complètement dépendant, intellectuellement et financièrement, de ce système qui va progressivement définir les termes de l’échange entre une vie allongée, moins d'insécurité physique et matérielle, et tout simplement la liberté.

LA CRISE DES SOCIÉTÉS OCCIDENTALES C.CASTORIADIS

On peut parfaitement concevoir un système social où le rôle de la famille serait minoré en même temps que serait majoré celui d’autres institutions de dressage et d’élevage. En fait, de nombreuses tribus archaïques, comme par ailleurs Sparte, ont réalisé de tels systèmes. En Occident même, à partir d’une certaine époque, ce rôle a été rempli de façon croissante par le système éducatif d’une part, la culture ambiante d’autre part - générale ou particulière (locale : village ; ou liée au travail : usine, etc.).

Or le système éducatif occidental est entré, depuis une vingtaine d’années, dans une phase de désagrégation accélérée. Il subit une crise des contenus : qu’est-ce qui est transmis, et qu’est-ce qui doit être transmis, et d’après quels critères? Soit : une crise des «programmes» et une crise de ce en vue de quoi ces programmes sont définis. Il connaît aussi une crise de la relation éducative : le type traditionnel de l’autorité indiscutée s’est effondré et des types nouveaux - le maître-copain, par exemple - n’arrivent ni à se définir, ni à s’affirmer, ni à se propager. Mais toutes ces observations demeureraient encore abstraites si on ne les reliait pas à la manifestation la plus flagrante et la plus aveuglante de la crise du système éducatif, celle que personne n’ose même mentionner. Ni élèves ni maîtres ne s’intéressent plus à ce qui se passe à l’école comme telle, l’éducation n’est plus investie comme éducation par les participants. Elle est devenue corvée gagne-pain pour les éducateurs, astreinte ennuyeuse pour les élèves dont elle a cessé d’être la seule ouverture extra-familiale et qui n’ont pas l’âge (ni la structure psychique) requis pour y voir un investissement instrumental (dont d’ailleurs la rentabilité devient de plus en plus problématique). En général, il s’agit d’obtenir un «papier» permettant d’exercer un métier (si l’on trouve du travail).

On dira que, au fond, il n’en a jamais été autrement. Peut-être. La question n’est pas là. Autrefois - il n’y a guère - toutes les dimensions du système éducatif (et les valeurs auxquelles elles renvoyaient) étaient incontestables; elles ont cessé de l’être.

Sortant d’une famille faible, fréquentant - ou pas - une école vécue comme une corvée, le jeune individu se trouve confronté à une société dans laquelle toutes les

 «valeurs» et les «normes» sont à peu près remplacées par le «niveau de vie»,

le «bien-être», le confort et la consommation. Ni religion, ni idées «politiques», ni solidarité sociale avec une communauté locale ou de travail, avec des «camarades de classe».

S’il ne se marginalise pas (drogue, délinquance, instabilité «caractérielle »), il lui reste la voie royale de la privatisation, qu’il peut ou non enrichir d’une ou plusieurs manies personnelles. Nous vivons la société des lobbies et des hobbies.

Le système éducatif classique était nourri, «par le haut», par la culture vivante de son époque. C’est toujours le cas du système éducatif contemporain - pour son malheur. La culture contemporaine devient, de plus en plus, un mélange d’imposture

 «moderniste» et de muséisme. Il y a belle lurette que le «modernisme» est devenu une vieillerie, cultivée pour elle-même et reposant souvent sur de simples plagiats qui ne sont admis que grâce au néo-analphabétisme du public (il en va ainsi, notamment, de l’admiration professée par le public parisien «cultivé», depuis quelques années, pour des mises en scène qui répètent, en les diluant, les inventions de 1920). La culture passée n’est plus vivante dans une tradition, mais objet de savoir muséique et de curiosités mondaines et touristiques régulées par les modes. Sur ce plan et pour banal qu’elle soit, la qualification d’alexandrinisme s’impose (et commence même à être insultante pour Alexandrie) ; d’autant plus que, dans le domaine de la réflexion lui-même, l’histoire, le commentaire et l’interprétation se substituent progressivement à la pensée créatrice.

inforstruc

Information éphémère mais structurante.

Nos sociétés produisent des masses croissantes d'information, alors que paradoxalement la durée de vie des supports numériques disponibles pour la conserver n'a jamais été aussi courte. Chaque jour 150 milliards d’emails sont échangés, 5 milliards de requêtes sur Internet, 2,5 trillions d’octets de données sont émises.  Les sites sur la toile sont soumis à ce caractère par essence éphémère, une durée de vie qui pourrait pourtant passer pour un record, trois ou quatre ans en moyenne. Beaucoup ont disparu, depuis des années.

il s'agit d'être au courant plus que de comprendre. Le phénomène d’addiction à l’information repose sur la consommation boulimique d’actualités, d’abord véhiculées par les médias radiophoniques ou télévisuels, les chaînes d’information en continu, puis aujourd’hui par les alertes d’une extrême brièveté envoyées sur nos smartphones. L’abondance des messages reçus, leur brièveté développent une paresse mentale, un relâchement de l’exigence.

L'instantanéité de l’information poussée à l'extrême ne peut que décrédibiliser le support médiatique qui l'a émise. L’information modifie la nature de l’homme qui l'utilise. Influencé, il réagit en fonction. Et pire, quand "on n'entend que ce qu'on attend". En permanence l’information circule dans la société. La technique parvient à utiliser le langage pour induire un véritable virage faustien. Le fait que la plupart du temps elle soit liée à un objectif et aux capacités de réaction, on peut tirer de l'information une capacité d'action délétère. L’information est prise sous des angles multiples, communication, transformations de la conscience, structuration de l'espace sémantique, étude des systèmes signifiants. A cela s'ajoute la masse de désinformation émise de toute part, aussi bien des réseaux sociaux que des gouvernements eux-mêmes. Dans l'univers d'internet, tous les acteurs finissent par jouer un rôle dans l'émission de fausses nouvelles, des enfants aux grands-parents.

Notre perception s'efface derrière notre perçu, la répétition quotidienne fait sens, obscurcit le doute sur ce qu'il faut faire ou dire. L’événement, le moment nouveau, produit une différence, une évolution, se pose le problème de l'interprétation de l'information dans un tel contexte par les sujets dotés de conscience et de capacité à se penser, se projeter, se situer en pensant le monde. Il s'est développé une vision numérique une vision du langage à partir de la brièveté du récit. Dans la saturation d'informations inutiles, il manque bien évidemment  l'information qualitative à "faible taux de rentabilité", ainsi que la réinformation indispensable dans l'établissement de la vérité, ce que peu d'émetteurs peuvent offrir, parce que liés à des intérêts particuliers. Sur le point précédent, il est indispensable de revenir au modèle décentralisé, chaque contenu produit étant stocké sur le disque dur personnel. Les fournisseurs de service ne peuvent pas utiliser des algorithmes pour adapter un contenu lié à votre "profil". La décentralisation est l'avenir d'Internet si l'on souhaite réaffirmer le droit à la liberté d'expression, le droit à la vie privée.

Nos données nous appartiennent et le bénéficiaire ne peut être que le propriétaire.

Le maintien de  la vision démocratique est à ce prix pour le système dit "Internet".

Si une institution de gestion semble nécessaire celle-ci ne peut appartenir à une oligarchie.  Certains souhaitent, non plus avoir affaire à un comportement d'émetteur-récepteur mais à des interlocuteurs responsables, à des auditeurs, lecteurs, contradicteurs. De nombreuses voies s'élèvent pour établir ou rétablir ces priorités. Vont-elles se faire entendre dans cette course folle et véritablement de nature entropique.G.O.

boule

boule de cristal

 

Si l'induction consiste à remonter, par une suite d'opérations cognitives, de données particulières à des propositions plus générales, des conséquences au principe ou des effets à la cause, l'intuition est une capacité humaine propre lui permettant d'imaginer des réponses et des solutions en dehors de la logique prédictive.

Ces algorithmes qui promettent une meilleure rentabilité représentent un marché de plusieurs milliards de dollars, en pleine expansion. Pourtant ils ne se révèleraient pas plus fiables qu’une boule de cristal.

Le premier défaut identifié : les algorithmes se basent sur un « raisonnement inductif », c’est-à-dire qu’il tire des conclusions à partir d’un échantillon, supposant qu’elles s’appliquent à tous les niveaux et ne varient pas dans le temps. Cela peut conduire à des décisions infondées, ou discriminer certains groupes de personnes. En second lieu, l’analyse algorithmique créée des « prophéties auto-réalisatrices » car, en se basant sur ces prédictions pour agir, les gestionnaires créent les conditions qui réalisent ces prédictions.

 Par ailleurs, calculer la probabilité d’évènements futurs n’a pas de réelle signification : la probabilité se base sur la possibilité d’une certitude complète qui elle est impossible à prédire… Par conséquent « les algorithmes ne prédisent pas, ils extrapolent ». Une fois leur code de base développé, les algorithmes prédictifs doivent être « formés » pour affiner leur puissance prédictive. Cette formation est réalisée en les alimentant avec des données organisationnelles passées, desquelles l’algorithme extrait les tendances et les applique au futur. À chaque cycle d'application, l'algorithme est continuellement ajusté pour corriger les « erreurs de prédiction ».

Si un algorithme prédictif peut deviner ce qui va se passer en fonction de ce qui s’est déjà passé, il est en revanche incapable d’anticiper le changement. Hors l’homme n’est pas que régularité, continuité, routine. La clé d'une prise de décision efficace n'est donc pas dans les calculs algorithmiques mais dans l'intuition.

URI GALL

La dictature envisagée par Orwell dans 1984 était inspirée des modèles connus de tyrannie avec leur cortège de brutalités. Le monde des big data met sous cloche les individus, de manière beaucoup plus subtile et indolore. Les données s’empilent sans autre objet que d’alimenter des bases à visée commerciale, dans lesquelles les services peuvent piocher à discrétion quand un homme connecté devient suspect. Il n’est probablement pas loin le jour où, en accompagnement de l’urne funéraire qui recèle les cendres du défunt, sera proposé aux familles l’ensemble des données numériques accumulées au cours de sa vie, comme l’historique indigeste de son existence contenant son dossier médical, ses émotions, ses habitudes de consommation, ses préférences sexuelles et intellectuelles.lire
 

retourfutur

RETOUR VERS LE FUTUR 

 

Notre époque rend plus nécessaire que jamais de cultiver l’art de la suspension ou de l’interruption. Les journées sans Facebook ont montré qu’elles étaient la source d’un supplément de bien-être, comme le repos dominical dans les temps anciens. Il est devenu quasi impossible d’avoir une conversation avec quelqu’un sans être interrompu par un texto ou un appel auquel il faut répondre immédiatement. Un processus de re-civilisation des relations interpersonnelles est devenu indispensable. Il faut, comme le dit David Remnick, directeur du New Torker, que nous nous interrogions sur nos propres obsessions numériques, leur effet sur notre attention aux autres, notre sens critique. « Le triomphe et la magie du monde numérique sont patents, mais le moment d’un questionnement moral est venu. »

Une citoyenneté numérique nouvelle exigera que l’éducation des enfants et des adolescents soit adaptée aux défis qu’ils rencontreront. Aussi bien Sadin que Tisseron soulignent l’importance d’enseigner aux jeunes l’apprentissage du codage, non pour qu’ils deviennent nécessairement informaticiens, mais pour qu’ils apprennent que les robots sont gouvernés par des algorithmes, et que les algorithmes sont faits et défaits par des humains. C’est la meilleure manière d’éviter que les robots apparaissent comme dotés de qualités surnaturelles qui paralyseraient les humains devant leurs exigences... La culture de l’écrit, du livre, est l’autre pilier indispensable qu’il faut protéger. Il s’agit moins de faire des dictées irréprochables que de donner le goût de la lecture. Les jeunes Français, qui régressent dans les classements OCDE (encore un...), ont surtout du mal à comprendre le contenu d’un texte, bien davantage qu’ils peinent à le lire stricto sensu. Comme l’analyse avec humour Roberto Caselli, le livre est un contrat entre l’auteur et le lecteur. L’auteur s’engage à laisser le lecteur libre de l’interprétation qu’il donnera du livre, le lecteur lui accorde le monopole de son attention, au moins pour un certain temps. « Si l’écrivain doit rivaliser avec les mille tentations de l’iPad, il finira par préférer jouer sur les affects plutôt qu’avec l’argumentation. » Cela ne veut pas dire que le livre numérique soit une mauvaise chose, même si des auteurs comme Milan Kundera y sont farouchement opposés, mais qu’il faut créer un cordon sanitaire, désactiver les options, la connexion Internet, pour laisser une chance à l’auteur, surtout, évidemment, lorsqu’il s’agit de livres destinés à la jeunesse.

Le monde numérique se présente à l’inverse comme un allié dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les nouvelles technologies permettent certes d’optimiser l’ancienne société industrielle, de gérer les nuisances, les encombrements, les pollutions en tout genre de manière plus efficace. Un logiciel d’intelligence artificielle utilisé par General Electric peut ainsi réduire de presque 40 °/o la demande d’électricité. Toute la promesse des « smart cities » est de réduire la consommation d’énergie au minimum incompressible, grâce à l’optimisation des processus de gestion existants. Le problème est que ce minimum reste beaucoup trop élevé. Le monde informatique est lui-même un formidable émetteur de C02. Les ordinateurs consomment énormément d’énergie. Facebook a ainsi déménagé certains centres de stockage en Norvège, à une centaine de kilomètres du Cercle polaire, pour réduire la chaleur émise par ses ordinateurs. La comparaison avec le cerveau humain est une bonne illustration de la voracité énergétique de la société numérique. Lorsqu’il s’agit de simuler la consommation des 100 milliards de neurones du cerveau humain, l’ordinateur le plus puissant du monde, Sequoia, consomme 12 gigawatts, soit l’équivalent de la puissance du gigantesque barrage d’Itaipu, à la frontière du Brésil et du Paraguay. L’homme (biologique) est par comparaison un modèle de sobriété écologique : il consomme moins d’une vingtaine de watts. Il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que le monde des nouvelles technologies converge vers l’exigence écologique d’un monde plus sobre.

L’idéal d’une société post-matérialiste, qui avait émergé durant les années soixante, a reculé sous le coup de la crise et de l’insécurité financière qu’elle avait provoquée. Le problème est que la « crise » est devenue une manière ordinaire de fonctionnement du système. Le revenu universel est l’un des instruments qui permettent de répondre à ce besoin de sécurité, et de trouver une marge entre l’urgence de survivre et l’envie de vivre. Mais il faut aller au-delà. Les propos que tenait André Gorz dans les années soixante-dix, dans son livre sur les Adieux au prolétariat, conservent toute leur actualité : « Le capitalisme, disait-il, a ôté le désir ou le pouvoir de réfléchir aux besoins “véritables” de chacun, de débattre avec les autres des meilleurs moyens de les satisfaire et de définir souverainement les options alternatives qui pourraient être explorées. »

Tel doit être le rôle d’une nouvelle critique artiste : permettre à chacun de conserver une conscience rebelle de ses besoins « véritables ». D. COHEN

elogepresent

L’éloge du présent   J.CONDRY

Lorsqu’ils regardent la télévision, les enfants ne continuent-ils pas à faire ce qu’ils ont toujours fait : observer la société pour essayer de comprendre quelle place ils vont devoir y tenir ? La télévision ne leur enseigne-t-elle pas nos usages, voire davantage, exactement comme autrefois les enfants s’initiaient à la vie et aux règles de la communauté en observant les gens qui y vivaient ?

On peut répondre par oui et par non. Oui, les enfants continuent d’observer le monde, mais ils n’ont jamais été aussi seuls pour faire cet apprentissage, les adultes les y aidant de moins en moins. Non, la télévision ne les informe pas sur le monde ; elle leur en donne même souvent une image déformée. Le but de la télévision n’est pas de donner aux enfants des informations sur le monde réel. Lorsqu’elle essaie de jouer ce rôle, le résultat est toujours très médiocre. La télévision moderne, notamment la télévision américaine, n’a qu’un seul objectif, celui de faire vendre. Elle est essentiellement un instrument commercial. Les valeurs qui sont les siennes, ce sont celles du marché, sa structure et ses contenus sont le reflet de cette fonction.

béatitude moderne

La tâche des responsables de la programmation est de réussir à capter l’attention du public et de la conserver assez longtemps pour pouvoir ensuite passer un message publicitaire. Si l’on prend en compte la psychologie humaine, ce n’est pas une mission facile. Les êtres humains se lassent facilement et sont rapidement gagnés par l’indifférence. Pour retenir notre attention, la télévision est constamment obligée de se transformer.

Par ailleurs, ses intérêts se situant dans le présent immédiat, les problèmes qui ne peuvent être résolus à court terme ne l’intéressent pas. Ainsi, la révolte des ghettos de Los Angeles, qui avait fait la une des informations pendant une semaine, était oubliée au bout d’un mois, si l’on fait l’hypothèse que la télévision reflète bien la mémoire du public.

Les séries télévisées, les téléfilms n’ont aucune raison de tenir compte de la réalité. Si le fait de déformer la réalité permet de capter l’attention des téléspectateurs, on n’hésitera pas à la déformer. L’objectif premier de la télévision est de gagner de l’audience et la télévision « éducative » n’échappe pas à cet impératif. Même si celle-ci ne s’occupe pas de vendre des produits, elle est en concurrence avec la télévision commerciale en ce qui concerne l’audience.

La télévision vit dans le présent ; elle ne respecte pas le passé et montre peu d’intérêt pour le futur. En encourageant les enfants à vivre coupés du passé et de l’avenir, la télévision a une influence désastreuse. L’une des fonctions premières de l’éducation, à la maison comme à l’école, est de montrer combien le passé et l’avenir sont liés, comment le présent découle des événements passés et comment l’avenir se rattache à l’un et à l’autre.

La télévision est gouvernée par l’heure.

À la fin d’une émission, toutes les intrigues doivent être résolues et les incertitudes levées. Le moment est venu de vendre des produits. Ainsi, l’horloge commande le passage d’une émission à une autre et à d’autres produits. Sous cet aspect au moins la télévision rappelle l’école. Lorsqu’un élève vient à s’intéresser à un sujet particulier, ou bien lorsqu’une discussion attrayante ou stimulante commence juste avant que la sonnerie ne retentisse, il n’y a plus qu’à se soumettre à la tyrannie de l’horloge. L’heure est passée : on change de sujet. De telles attitudes ont pour effet de minimiser l’intérêt et de gêner l’apprentissage, elles enseignent aux enfants à tout aborder de façon superficielle. Quoi d’étonnant à ce que les maîtres fassent état du manque de concentration de leurs élèves et du fait que ceux-ci ne parviennent pas à faire un travail de longue haleine, même lorsqu’il s’agit de sujets qu’ils ont eux-mêmes choisis d’étudier ? Ni la télévision ni l’école n’éduquent l’intérêt des enfants au-delà d’une certaine durée. Ce qui n’encourage pas la recherche du savoir.

La télévision ne fait preuve d’aucune véritable curiosité et celle-ci fait souvent défaut aux enfants qui sont habitués à la regarder longtemps. Système omniscient par excellence, elle ne laisse aucune place au mystère, il faut du temps pour percer les vrais mystères cela suppose aussi au départ de véritables connaissances et des situations réelles pour les stimuler.

Il arrive que les informations consacrent quelques instants à un authentique mystère, mais les enfants ne s’intéressent guère aux informations ; ils préfèrent regarder d’autres émissions, dont certaines, d’ailleurs, parlent de faits mystérieux. L’une d’elles, « Les Enigmes non résolues », ne relatent en général que des histoires insipides : celle d’un vaisseau spatial qui s’est posé au New Jersey, par exemple, ou quelque autre événement imaginaire du même genre. Celles-ci n’ont rien à voir avec la réalité, ni avec quelque mystère que ce soit.

Si, comme on le dit, les enfants d’aujourd’hui sont cruels les uns envers les autres, si toute compassion leur est étrangère, s’ils se moquent des faibles et méprisent ceux qui ont besoin d’aide, cela est-il dû à ce qu’ils voient à la télévision ? Il est vrai que les pauvres et les malheureux occupent rarement le petit écran, et lorsqu’ils y apparaissent, ils sont le plus souvent tournés en ridicule. A la télévision, c’est la richesse qui est la clé du bonheur ; on y admire des gens riches qui vivent dans des demeures splendides et se promènent dans des limousines rutilantes.

Le plus absurde est qu’on ne montre jamais les gens en train de travailler, ni comment ils ont acquis les biens qu’ils étalent. Aucun rapport n’est établi entre richesse et travail. Les enfants, qui préfèrent les solutions les plus faciles, aspirent au bonheur tel que la télévision le définit - c’est-à-dire posséder des biens matériels -, mais ils ne savent pas ce qu’il faut faire pour les obtenir. Et comment le sauraient-ils ? Pour la télévision, montrer des gens en train de travailler est une malédiction du temps perdu ! L’émission deviendrait ennuyeuse, ce qui n’est pas tolérable. A la télévision, chaque instant doit être excitant, tout événement doit attirer l’attention. C’est pourquoi il est impossible de montrer le lien qui unit travail et richesse, ou d’évoquer des sujets difficiles à représenter.

quellevision

Le progrès nous rend-t-il plus libre et raisonnable,

ou nous éloigne-t-il de la vertu, d’un système égalitaire.

LETTRES DE VOLTAIRE et ROUSSEAU.

J’ai reçu, monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain; je vous en remercie. Vous plairez aux hommes, à qui vous dites leurs vérités, mais vous ne les corrigerez pas. On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine, dont notre ignorance et notre faiblesse se promettent tant de consolations. On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes ; il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j’en ai perdu l’habitude, je sens malheureusement qu’il m’est impossible de la reprendre, et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi. Je ne peux non plus m’embarquer pour aller trouver les sauvages du Canada : premièrement, parce que les maladies dont je suis accablé me retiennent auprès du plus grand médecin de l’Europe, et que je ne trouverais pas les mêmes secours chez les Missouris; secondement, parce que la guerre est portée dans ces pays-là, et que les exemples de nos nations ont rendu les sauvages presque aussi méchants que nous. Je me borne à être un sauvage paisible dans la solitude que j’ai choisie auprès de votre patrie, où vous devriez être.

Je conviens avec vous que les belles-lettres et les sciences ont causé quelquefois beaucoup de mal. Les ennemis du Tasse firent de sa vie un tissu de malheurs ; ceux de Galilée le firent gémir dans les prisons, à soixante et dix ans, pour avoir connu le mouvement de la terre ; et ce qu’il y a de plus honteux, c’est qu’ils l’obligèrent à se rétracter. Dès que vos amis eurent commencé le Dictionnaire encyclopédique, ceux qui osèrent être leurs rivaux les traitèrent de déistes, d’athées, et même de jansénistes.

Si j’osais me compter parmi ceux dont les travaux n’ont eu que la persécution pour récompense, je vous ferais voir des gens acharnés à me perdre du jour que je donnai la tragédie d’Œdipe; une bibliothèque de calomnies ridicules imprimées contre moi; un prêtre ex-jésuite, que j’avais sauvé du dernier supplice, me payant par des libelles diffamatoires du service que je lui avais rendu ; un homme, plus coupable encore, faisant imprimer mon propre ouvrage du Siècle de Louis XIV avec des notes dans lesquelles la plus crasse ignorance vomit les plus infâmes impostures ; un autre, qui vend à un libraire quelques chapitres d’une prétendue Histoire universelle, sous mon nom ; le libraire assez avide pour imprimer ce tissu informe de bévues, de fausses dates, de faits et de noms estropiés ; et enfin des hommes assez lâches et assez méchants pour m’imputer la publication de cette rapsodie. Je vous ferais voir la société infectée de ce genre d’hommes inconnu à toute l’antiquité, qui, ne pouvant embrasser une profession honnête, soit de manœuvre, soit de laquais, et sachant malheureusement lire et écrire, se font courtiers de littérature, vivent de nos ouvrages, volent des manuscrits, les défigurent, et les vendent. Je pourrais me plaindre que des fragments d’une plaisanterie faite, il y a près de trente ans, sur le même sujet que Chapelain eut la bêtise de traiter sérieusement, courent aujourd’hui le monde par l’infidélité et l’avarice de ces malheureux qui ont mêlé leurs grossièretés à ce badinage, qui en ont rempli les vides avec autant de sottise que de malice, et qui enfin, au bout de trente ans, vendent partout en manuscrit ce qui n’appartient qu’à eux, et qui n’est digne que d’eux. J’ajouterais qu’en dernier lieu on a volé une partie des matériaux que j’avais rassemblés dans les archives publiques pour servir à l’Histoire de la Guerre de 1741, lorsque j’étais historiographe de France ; qu’on a vendu à un libraire de Paris ce fruit de mon travail ; qu’on se saisit à l’envi de mon bien, comme si j’étais déjà mort, et qu’on le dénature pour le mettre à l’encan. Je vous peindrais l’ingratitude, l’imposture et la rapine, me poursuivant depuis quarante ans jusqu’au pied des Alpes, jusqu’au bord de mon tombeau. Mais que conclurai-je de toutes ces tribulations ? Que je ne dois pas me plaindre ; que Pope, Descartes, Bayle, le Camoens, et cent autres, ont essuyé les mêmes injustices, et de plus grandes ; que cette destinée est celle de presque tous ceux que l’amour des lettres a trop séduits.

Avouez en effet, monsieur, que ce sont là de ces petits malheurs particuliers dont à peine la société s’aperçoit. Qu’importe au genre humain que quelques frelons pillent le miel de quelques abeilles ? Les gens de lettres font grand bruit de toutes ces petites querelles, le reste du monde ou les ignore ou en rit.

De toutes les amertumes répandues sur la vie humaine, ce sont là les moins funestes. Les épines attachées à la littérature et à un peu de réputation ne sont que des fleurs en comparaison des autres maux qui, de tout temps, ont inondé la terre. Avouez que ni Cicéron, ni Varron, ni Lucrèce, ni Virgile, ni Horace, n’eurent la moindre part aux proscriptions. Marius était un ignorant ; le barbare Sylla, le crapuleux Antoine, l’imbécile Lépide, lisaient peu Platon et Sophocle ; et pour ce tyran sans courage, Octave Cépias, surnommé si lâchement Auguste, il ne fut un détestable assassin que dans le temps où il fut privé de la société des gens de lettres.

Avouez que Pétrarque et Boccace ne firent pas naître les troubles de l’Italie ; avouez que le badinage de Marot n’a pas produit la Saint-Barthélemy, et que la tragédie du Cid ne causa pas les troubles de la Fronde.

Les grands crimes n’ont guère été commis que par de célèbres ignorants. Ce qui fait et fera toujours de ce monde une vallée de larmes, c’est l’insatiable cupidité et l’indomptable orgueil des hommes, depuis Thomas Kouli-Kan, qui ne savait pas lire, jusqu’à un commis de la douane, qui ne savait que chiffrer. Les lettres nourrissent l’âme, la rectifient, la consolent ; elles vous servent, monsieur, dans le temps que vous écrivez contre elles ; vous êtes comme Achille, qui s’emporte contre la gloire, et comme le père Malebranche, dont l’imagination brillante écrivait contre l’imagination.

Si quelqu’un doit se plaindre de lettres, c’est moi, puisque, dans tous les temps et dans tous les lieux, elles ont servi à me persécuter ; mais il faut les aimer malgré l’abus qu’on en fait, comme il faut aimer la société dont tant d’hommes méchants corrompent les douceurs ; comme il faut aimer sa patrie, quelques injustices qu’on y essuie ; comme il faut aimer et servir l’Etre suprême, malgré les superstitions et le fanatisme qui déshonorent si souvent son culte.

M. Chappuis m’apprend que votre santé est bien mauvaise ; il faudrait la venir rétablir dans l’air natal, jouir de la liberté, boire avec moi du lait de nos vaches, et brouter nos herbes.

Je suis très philosophiquement et avec la plus tendre estime, etc.

C’est à moi, monsieur, de vous remercier à tous égards. En vous offrant l’ébauche de mes tristes rêveries, je n’ai point cru vous faire un présent digne de vous, mais m’acquitter d’un devoir et vous rendre un hommage que nous vous devons tous comme à notre chef. Sensible, d’ailleurs, à l’honneur que vous faites à ma patrie, je partage la reconnaissance de mes concitoyens, et j’espère qu’elle ne fera qu’augmenter encore, lorsqu’ils auront profité des instructions que vous pouvez leur donner. Embellissez l’asile que vous avez choisi : éclairez un peuple digne de vos leçons ; et, vous qui savez si bien peindre les vertus et la liberté, apprenez-nous à les chérir dans nos murs comme dans vos écrits. Tout ce qui vous approche doit apprendre de vous le chemin de la gloire.

Vous voyez que je n’aspire pas à nous rétablir dans notre bêtise, quoique je regrette beaucoup, pour ma part, le peu que j’en ai perdu. A votre égard, monsieur, ce retour serait un miracle, si grand à la fois et si nuisible, qu’il n’appartiendrait qu’à Dieu de le faire et qu’au Diable de le vouloir. Ne tentez donc pas de retomber à quatre pattes ; personne au monde n’y réussirait moins que vous. Vous nous redressez trop bien sur nos deux pieds pour cesser de vous tenir sur les vôtres.

Je conviens de toutes les disgrâces qui poursuivent les hommes célèbres dans les lettres ; je conviens même de tous les maux attachés à l’humanité et qui semblent indépendants de nos vaines connaissances. Les hommes ont ouvert sur eux-mêmes tant de sources de misères, que quand le hasard en détourne quelqu’une, ils n’en sont guère moins inondés. D’ailleurs il y a dans le progrès des choses des liaisons cachées que le vulgaire n’aperçoit pas, mais qui n’échapperont point à l’œil du sage quand il y voudra réfléchir. Ce n’est ni Térence, ni Cicéron, ni Virgile, ni Sénèque, ni Tacite ; ce ne sont ni les savants ni les poètes qui ont produit les malheurs de Rome et les crimes des Romains : mais sans le poison lent et secret qui corrompait peu à peu le plus vigoureux gouvernement dont l’Histoire ait fait mention, Cicéron ni Lucrèce, ni Salluste n’eussent point existé ou n’eussent point écrit. Le siècle aimable de Lelius et de Térence amenait de loin le siècle brillant d’Auguste et d’Horace, et enfin les siècles horribles de Sénèque et de Néron, de Domitien et de Martial. Le goût des lettres et des arts naît chez un peuple d’un vice intérieur qu’il augmente; et s’il est vrai que tous les progrès humains sont pernicieux à l’espèce, ceux de l’esprit et des connaissances qui augmentent notre orgueil et multiplient nos égarements, accélèrent bientôt nos malheurs. Mais il vient un temps où le mal est tel que les causes mêmes qui l’ont fait naître sont nécessaires pour l’empêcher d’augmenter; c’est le fer qu’il faut laisser dans la plaie, de peur que le blessé n’expire en l’arrachant. Quant à moi si j’avais suivi ma première vocation et que je n’eusse ni lu ni écrit, j’en aurais sans doute été plus heureux. Cependant, si les lettres étaient maintenant anéanties, je serais privé du seul plaisir qui me reste. C’est dans leur sein que je me console de tous mes maux : c’est parmi ceux qui les cultivent que je goûte les douceurs de l’amitié et que j’apprends à jouir de la vie sans craindre la mort. Je leur dois le peu que je suis ; je leur dois même l’honneur d’être connu de vous ; mais consultons l’intérêt dans nos affaires et la vérité dans nos écrits. Quoiqu’il faille des philosophes, des historiens, des savants pour éclairer le monde et conduire ses aveugles habitants ; si le sage Memnon m’a dit vrai, je ne connais rien de si fou qu’un peuple de sages.

Convenez-en, monsieur; s’il est bon que de grands génies instruisent les hommes, il faut que le vulgaire reçoive leurs instructions : si chacun se mêle d’en donner, qui les voudra recevoir ? Les boiteux, dit Montaigne, sont mal propres aux exercices du corps, et aux exercices de l’esprit les âmes boiteuses.

Mais en ce siècle savant, on ne voit que boiteux vouloir apprendre à marcher aux autres. Le peuple reçoit les écrits des sages pour les juger non pour s’instruire. Jamais on ne vit tant de Dandins. Le théâtre en fourmille, les cafés retentissent de leurs sentences ; ils les affichent dans les journaux, les quais sont couverts de leurs écrits, et j’entends critiquer l’Orphelin, parce qu’on l’applaudit, à tel grimaud si peu capable d’en voir les défauts, qu’à peine en sent-il les beautés.

Recherchons la première source des désordres de la société, nous trouverons que tous les maux des hommes leur viennent de l’erreur bien plus que de l’ignorance, et que ce que nous ne savons point nous nuit beaucoup moins que ce que nous croyons savoir. Or quel plus sûr moyen de courir d’erreurs en erreurs, que la fureur de savoir tout ? Si l’on n’eût prétendu savoir que la terre ne tournait pas, on n’eût point puni Galilée pour avoir dit qu’elle tournait. Si les seuls philosophes en eussent réclamé le titre, l’Encyclopédie n’eût point eu de persécuteurs. Si cent Myrmidons n’aspiraient à la gloire, vous jouiriez en paix de la vôtre, ou du moins vous n’auriez que des rivaux dignes de vous.

Ne soyez donc pas surpris de sentir quelques épines inséparables des fleurs qui couronnent les grands talents. Les injures de vos ennemis sont les acclamations satyriques qui suivent le cortège des triomphateurs : c’est l’empressement du public pour tous vos écrits qui produit les vols dont vous vous plaignez : mais les falsifications n’y sont pas faciles, car le fer ni le plomb ne s’allient pas avec l’or. Permettez-moi de vous le dire par l’intérêt que je prends à votre repos et à notre instruction. Méprisez de vaines clameurs par lesquelles on cherche moins à vous faire du mal qu’à vous détourner de bien faire. Plus on vous critiquera, plus vous devez vous faire admirer. Un bon livre est une terrible réponse à des injures imprimées ; et qui vous oserait attribuer des écrits que vous n’aurez point faits, tant que vous n’en ferez que d’inimitables?

Je suis sensible à votre invitation ; et si cet hiver me laisse en état d’aller au printemps habiter ma patrie, j’y profiterai de vos bontés. Mais j’aimerais mieux boire de l’eau de votre fontaine que du lait de vos vaches, et quant aux herbes de votre verger, je crains bien de n’y en trouver d’autres que le Lotos, qui n’est pas la pâture des bêtes, et le Moly qui empêche les hommes de le devenir.

Je suis de tout mon cœur et avec respect, etc.

ROUSSEAU se sépara peu à peu des philosophes des lumières. Il préconise de retarder le progrès, car le peuple devenu corrompu ne peut revenir à la vertu. VOLTAIRE estime que ROUSSEAU s’attache à défendre le mythe de l’âge d’or, tel que formulé par Hésiode. Peu à peu les hommes perdent le respect pour leurs anciens, ainsi que le sens de la justice. VOLTAIRE reste profondément attaché à la notion de progrès. Voltaire défendait les libertés pour les intellectuels mais ne croyait pas vraiment dans les orientations que pourrait proposer le peuple, seul le jupitérien est capable de présenter un avenir prometteur. A l’inverse Rousseau était un  homme du peuple, pris entre la fascination et l’aversion que lui inspire la société nouvelle. « Dites-nous, célèbre Arouet, combien vous avez sacrifié de beautés mâles et fortes à notre fausse délicatesse et combien l’esprit de la galanterie si fertile en petites choses vous en a coûté de grandes. » ; « tant que la puissance sera seule d’un côté ; les lumières et la sagesse seules d’un autre, les savants penseront rarement de grandes choses, les princes en feront plus rarement de belles, et les peuples continueront d’être vils, corrompus et malheureux ».

L’histoire montre  que les peuples avancent, régressent, stagnent dans leurs folies.

Dans l'ère de la distraction, nos vies se déroulent dans une résonance de "bruits" d'experts technocratiques proclamés. Nous vivons au rythme de l'actualité sensationnelle, au rythme du culte de la personnalité, de "l'actu people", de "compotes" d'émissions de télévision où le bulletin de nouvelles de quelques secondes, insignifiantes, prime sur la réflexion, le silence.

Nous nous soumettons à une kyrielle d'avis souvent consternante sur les réseaux au détriment d'une attention salutaire et combien nécessaire au vingt-et-unième siècle de l'humanité. Dans cet environnement, la contemplation et l'introspection sont devenues plus nécessaires que jamais afin de pouvoir infléchir l'avenir. La façon dont les gens se perçoivent au sein de l'univers affecte la manière dont ils se comportent.

generation ondes
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