Extrait du discours du 7 septembre 1789, intitulé précisément : « Dire de l’abbé Sieyes, sur la question du veto royal : à la séance du 7 septembre 1789 »
« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »
Souvenirs, rêves et pensées C.G.JUNG
Freud ne s’est jamais demandé pourquoi il lui fallait continuellement parler du sexe, pourquoi cette pensée l’avait à un tel point saisi. Jamais il ne s'est rendu compte que la « monotonie de l’interprétation » traduisait une fuite devant soi-même ou devant cette autre partie de lui qu’il faudrait peut-être appeler « mystique ». Or, sans reconnaître ce côté de sa personnalité, il lui était impossible de se mettre en harmonie avec lui-même. Il était aveugle à l’égard du paradoxe et de l’ambiguïté des contenus de l’inconscient et il ne savait pas que tout ce qui en surgit possède un haut et un bas, un intérieur et un extérieur. Quand on parle du seul aspect extérieur —c’est ce que faisait Freud — on ne prend en considération qu’une seule moitié et, conséquence inévitable, une réaction naît dans l’inconscient. En face de cette unilatéralité de Freud, il n’y avait pas de recours. Peut-être qu’une expérience intérieure personnelle aurait pu lui ouvrir les yeux ; bien que toutefois son intellect l’eût peut être ramenée, elle aussi, à de la simple « sexualité » ou « psychosexualité ». Il resta voué à un seul aspect et c’est à cause de cela que je vois en lui une figure tragique ; car il était un grand homme et qui plus est, il avait le feu sacré.
Après le deuxième entretien à Vienne, je compris l'hypothèse de la volonté de puissance élaborée par Alfred Adler, à laquelle, jusqu’alors, je n’avais pas accordé assez d’attention : comme de nombreux fils, Adler n’avait pas retenu du « père » ce que celui-ci disait mais ce qu’il faisait. Puis ce fut le problème de la confrontation de l’amour — ou Éros — et de la puissance qui me tomba dessus comme une chape de plomb et qui m’oppressa. Comme il me le dit plus tard, Freud n’avait jamais lu Nietzsche. Désormais je considérais la psychologie de Freud comme une manœuvre de l’esprit, qui, sur l’échiquier de son histoire, venait compenser la divinisation par Nietzsche du principe de puissance. Le problème manifestement n’était pas : « Freud face à Adler » mais : « Freud face à Nietzsche ». Ce problème me sembla avoir beaucoup plus d’importance qu’une querelle de ménage dans le domaine de la psychopathologie. L’idée naquit en moi que l’Éros et que l’instinct de puissance étaient comme des frères ennemis, fils d’un seul père, fils d’une force psychique qui les motivait, qui — telle la charge électrique positive ou négative — se manifeste dans l’expérience sous forme d’opposition : l’Éros comme un patiens, comme une force qu’on subit passivement, l’instinct de puissance comme un agens, comme une force active et vice versa. L’Éros a aussi souvent recours à l’instinct de puissance que ce dernier au premier. Que serait l’un de ces instincts sans l’autre ? L’homme, d’une part, succombe à l’instinct et par ailleurs, cherche à le dominer. Freud montre comment l'objet succombe à l’instinct, Adler comment l’homme utilise l’instinct pour violenter l’objet. Nietzsche, livré à son destin, et y succombant, dut se créer un « surhomme ».
Freud—telle fut ma conclusion — doit être si profondément sous l’emprise de la puissance de l’Éros qu’il cherche à l’élever, comme un numen religieux, au rang de dogme aere perennius (de dogme éternel, plus durable que l’airain). Ce n’est un secret pour personne : « Zarathoustra » est l’annonciateur d’un évangile et Freud entre même en concurrence avec l’Église par son intention de canoniser doctrine et préceptes. Il est vrai qu’il ne l'a pas fait trop bruyamment ; par contre, il m’a prêté l’intention de vouloir passer pour un prophète. Il formule la tragique exigence et l’efface aussitôt. C’est ainsi que l’on procède le plus souvent avec les conceptions numineuses et cela est juste, parce qu’à un certain point de vue elles sont vraies, tandis qu’à un autre elles sont fausses. L’événement numineux vécu élève et abaisse simultanément. Si Freud avait mieux apprécié la vérité psychologique qui veut que la sexualité soit numineuse — elle est un Dieu et un diable — il ne serait pas resté prisonnier d’une notion biologique étriquée. Et Nietzsche, avec son exubérance, ne serait peut-être pas tombé hors du monde s’il s’en était tenu davantage aux bases même de l’existence humaine.
Chaque fois qu'un événement numineux fait fortement vibrer l’âme, il y a danger que se rompe le fil auquel on est suspendu. Alors tel être humain tombe dans un « Oui » absolu et l’autre dans un « Non » qui ne l’est pas moins !
Nirdvandva — « libéré des deux » —, dit l’Orient. Je l’ai retenu ! Le pendule de l’esprit oscille entre sens et non-sens, et non point entre vrai et faux. Le danger du numineux est qu’il pousse aux extrêmes et qu’alors une vérité modeste est prise pour la vérité et une erreur minime pour une fatale aberration. Tout passe : ce qui hier était vérité est aujourd’hui erreur, et ce qui avant-hier était tenu pour errement sera peut-être demain révélation... à plus forte raison dans la dimension psychologique dont, en réalité, nous ne savons encore que fort peu de chose. Nous avons souvent manqué et nous sommes encore bien loin de nous rendre compte de ce que cela veut dire que rien, absolument rien n’existe, tant qu’une petite conscience, — ô lueur bien éphémère ! — n’en a rien remarqué.
LE SOUCI DES PAUVRES A.JACQUARD
Le nombre et la répartition des hommes sur cette Terre évoluent à un tel rythme que l’on peut évoquer une dérive des continents humains. Nous savons depuis moins d’un siècle que les continents géographiques errent sur la planète au gré des mouvements des plaques qui les supportent. Mais ces mouvements sont si lents qu’ils ne transforment la carte de la Terre qu’après des dizaines de millions d’années. Cette même carte, lorsqu’elle est dessinée par les démographes, qui consacrent à chaque région une surface proportionnelle à sa population, a une tout autre allure ; des géants géographiques comme le Canada sont des nains démographiques ; l’inverse est vrai pour des pays asiatiques comme le Bangladesh. Cette carte démographique se transforme si rapidement qu’elle est méconnaissable après une ou deux générations. D’ici le milieu du siècle prochain, la population de l’Asie se sera accrue de moitié, celle de l’Amérique latine aura doublé, celle de l’Afrique triplé, tandis que celle des pays riches, Europe et Amérique du Nord, sera restée stable. Le centre de gravité humain de la plupart des régions se déplace ; ainsi, pour les États qui bordent la Méditerranée, ce centre de gravité est aujourd’hui aux environs de Rome, il sera dans trente ans au sud de Tunis. La donnée de base de tous les problèmes posés par la coexistence des hommes, leur effectif, est inédite.
Pour la première fois depuis l’apparition de leur espèce, les hommes sont contraints de constater que leur domaine est restreint, que les ressources disponibles sont limitées. « Le temps du monde fini commence », selon le constat de Paul Valéry. L’accroissement de leur nombre est-il compatible avec les possibilités de la planète ? Ils sont désormais obligés de se poser cette question. La réponse est ambiguë : oui, la Terre peut nourrir les dix ou onze milliards d’hommes qui la peupleront dans moins d’un siècle, elle pourrait même en nourrir, grâce à quelques progrès, le double. Mais certains hommes ne se contentent pas de demander à la Terre leur nourriture ; ceux qui peuplent les pays « développés » exigent d’elle de multiples richesses non renouvelables ou dont le renouvellement est beaucoup plus lent que la consommation qu’ils en font. Combien d’hommes ayant le comportement actuel de ces « riches », la Terre peut-elle supporter ? Tout au plus 700 millions. Cela signifie que l’accès à ce mode de vie est, en raison de contraintes physiques indépassables, interdit à 80 p. 100 des terriens d’aujourd’hui, et le sera à plus de 90 p. 100 de leurs descendants à la fin du siècle prochain.
Les hommes, se heurtant aux limites de leur domaine, rêvent de l’agrandir et utilisent une capacité qu’aucune autre espèce ne possède : ils savent se donner à eux-mêmes des pouvoirs. Arbalète, moulin à vent, boussole, la moisson de novations techniques avait été riche au cours du XII siècle ; qu’elle paraît dérisoire face à la moisson du XX siècle! Dans tous les domaines, des bonds en avant, infiniment plus importants que tout ce qui avait été rêvé autrefois, ont été réalisés. Faire le tour de la Terre en quelques heures, entendre une parole dite à des milliers de kilomètres, assister à un événement lointain, tuer des centaines de milliers de personnes avec une seule bombe, réduire à zéro le nombre des victimes du virus de la variole, faire naître des enfants à qui la nature refusait l’entrée dans la vie, tout cela nous l’avons obtenu. Nous sommes des Homo faber qui transformons le monde autour de nous. Dans l’ivresse de ces victoires, nous avons cru que rien ne nous serait impossible. En cette fin de siècle il nous faut déchanter.
Certains seuils ne pourront, nous le savons maintenant, être franchis ; aller plus vite qu’un rayon lumineux est définitivement impossible en raison de la structure de l’espace-temps dans lequel nous nous mouvons. Du coup, l’espoir d’une émigration de l’humanité sur une planète plus accueillante est fortement réduit ; sans doute de telles planètes existent- elles, mais elles sont à une distance telle que le parcours durerait de nombreuses générations. Il nous faut admettre que seuls quelques individus pourront faire de courtes excursions au sein du système solaire ; l’humanité est prisonnière de la Terre. Depuis toujours les hommes s’étaient forgé une mentalité de nomades disposant constamment d’un ailleurs ; ils découvrent soudain qu’ils sont assignés à résidence et qu’il faut l’accepter ; il n’y a plus d’ailleurs.
Mais le désenchantement le plus grave ne vient pas de cette limitation ; nous pouvons satisfaire nos besoins d’infini ailleurs que dans l’espace. Il vient du constat que certains des pouvoirs que nous venons de nous donner sont des dangers pour l’Homme. Au cours des dernières décennies, nous sommes passés du statut d'Homo faber à celui de Faber hominis. Nous nous sommes mis entre nos propres mains. Comme toujours, au début, les progrès nous ont semblé bénéfiques ; donner un enfant à un couple stérile.
Prévoir une maladie grave ou incurable dès le stade embryonnaire, déjouer les effets néfastes d’un gène muté ou même le remplacer par un gène « normal », tous ceux qui ont contribué à ces exploits pouvaient légitimement être fiers de leurs succès. Aujourd’hui ils ont peur et font part de leurs inquiétudes. L’enfant à naître ne sera plus le résultat imprévisible de multiples loteries décidant, hors de notre portée, son sexe, sa taille ou sa capacité de résistance aux maladies ; il sera l’aboutissement d’un programme ; il sera conforme à la volonté des géniteurs. L’humanité se transformera au gré des modes ou des objectifs de quelques dictateurs imposant la définition d’une norme humaine. L’essence du processus de procréation, l’imprévisibilité, aura été détruite.
Le monde des objets « d’avant » est celui de l’action et de la réaction.
Nous entrons dans l'ère de la numérisation intégrale du monde.
En parallèle nos sociétés ont joué et jouent la carte de l'échange marchand, elles sont connectés à l'argent.
Au 21°siècle nous parlons d’objets connectés dits intelligents. Ils réalisent, sans action directe de l’homme, des opérations correspondant à nos désirs. Ils sont capables d’agir sans commande directe, grâce à leur autonomie.
Ils collectent toutes les données de celui qui les actionnent.
Ce qui est en jeu est non seulement le rapport entre l’objet et le sujet, mais le rapport du sujet à lui-même.
Obsédé par son devenir l’homme connecté oublie le monde pour ne plus rencontrer que lui-même !
Dans une telle société l’humain s’éloigne d’une part de la confrontation avec son environnement et d’autre part craint son introspection.
Dans l’ Inter - réseau des objets, le sujet est livré au monde intégralement contrôlé et assimilé au sujet.
Des composants électroniques peuvent être insérés dans nos organes pour sonder les anomalies accroître la puissance, augmenter les performances.
Suis-je dans la moyenne ou bien dans la caste supérieure ? Il suffit de se procurer ce capteur, cette puce électronique…
Les faits :
Le numérique fonctionne à sens unique, ce qui lui importe est la vitesse, le point d’arrivée, l’efficacité.
Ainsi la recherche automatique, "souhaitant" nous apporter le confort dit le plus adapté, remet en cause notre pouvoir de jugement et de décision.
La télévision connectée est capable d'enregistrer, d'interpréter les conversations tenues à proximité par microphone. L'électroménager s'équipe également de transmetteurs.
Le bracelet connecté est capable à court terme de transmettre notre état physique, permettant certainement une intervention rapide de secours si besoin mais également trahissant notre position topologique aussi bien que temporelle révèlant notre comportement quotidien.
Quelles conséquences ! la possibilité de transmettre un stimulus, de suggérer, en fonction des propos, des programmes ou des produits en rapport.
L’utilisation croissante des capteurs va jusqu’à envahir nos villes, nos lieux de travail, nos habitats. Avec les objets connectés les compagnies privées, pourront « coller » à la vie de chacun, connaître nos comportements, orienter vers un monde "marchandisé".
Le modèle de civilisation à notre porte tel que celui du trans-humanisme apparaît comme fondé sur l’exclusion du sensible. Il s'agit d'un moment charnière dans notre histoire, qui comporte la menace de s’imaginer que l’on puisse se passer du corps. Nous exprimons l’idée de « l’homme augmenté », un projet de recherche tant en neurophysiologie que dans l’éducation qui voudrait rompre avec toutes les limites tant psychologiques que physiologiques. Il s’agit de modéliser, de pallier aux défauts, d’améliorer les performances du cerveau, assimilé à un ordinateur. Mais, contrairement à un ordinateur, le cerveau est le lieu relationnel, de l’esprit, du corps et de son environnement. Il modifie son comportement en fonction du beau, du laid, de ses affects etc. Le robot saura-t-il faire de même ? Et alors ? Quel intérêt pour ma vie d’être humain ? Est-il besoin de penser à notre place !
Les tablettes permettent de quantifier les comportements des élèves et ceux des professeurs. Elles découplent ce faisant le rapport du sujet à l'objet. Les grandes firmes technologiques s’installent dans l'école publique, et deviennent partenaires éducatifs.
Mais à contrario l'industrie du numérique est incapable d’entrevoir toutes les dimensions de la vie humaine.
Depuis la nuit des temps sur terre, l’acquisition de la langue puis celle de l’écriture furent deux grandes révolutions pour l’espèce humaine.
Le tournant majeur de l'humanité est à nos portes. Le monde digital modifiant la nature de l’homme, l’orientant vers un virtuel, hors de toute tempérance, sobriété ou sagesse.
Transformer artificiellement humain équivaut à le soustraire de l’humanité. Le féminin, le masculin, le lumineux, l’obscur, le chaud, le froid, le sec, le dur, le mou, le positif, le négatif le dessous, le géométrique, le trouble, le haut, l'écart, l'infini, sont quelques-unes de ces composantes incompressibles.
Le culte contemporain de la performance, pourrait bien être cette fin de l’humanité et l'aliénation des masses.
- démographie, chaque année la population croît de 80 millions d'habitants ;
- pollution, elle détruit les paysages et les milieux naturels de manière exponentielle et par la même amenuise nos chances de survie ;
- progressivement nous laissons la technologie contrôler nos vies, le pendant étant la manipulation des masses par détournement des centres d'intérêts.
En l'absence d'un sursaut de sagesse suffisant dans un avenir très proche, lequel de ces maux aura la prépondérance. RB
Je crois en la métaphysique...Le monde est pure volonté d'une part et d'autre part, il ne nous est donné que comme représentation.
A . SCHOPENHAUER
De ce que l’on représente
Ce que nous représentons, ou, en d’autres termes, notre existence dans l’opinion d’autrui, est, par suite d’une faiblesse particulière de notre nature, généralement beaucoup trop prisé, bien que la moindre réflexion puisse nous apprendre qu’en soi cela est de nulle importance pour notre bonheur. Aussi a-t-on peine à s’expliquer la grande satisfaction intérieure qu’éprouve tout homme dès qu’il aperçoit une marque de l’opinion favorable des autres et dès qu’on flatte sa vanité, n’importe comment. Aussi infailliblement que le chat se met à ronronner quand on lui caresse le dos, aussi sûrement on voit une douce extase se peindre sur la figure de l’homme qu’on loue, surtout quand la louange porte sur le domaine de ses prétentions, et quand même elle serait un mensonge palpable. Les marques de l’approbation des autres le consolent souvent d’un malheur réel ou de la parcimonie avec laquelle coulent pour lui les deux sources principales de bonheur dont nous avons traité jusqu’ici. Réciproquement, il est étonnant de voir combien il est infailliblement chagriné, et bien des fois douloureusement affecté par toute lésion de son ambition, en quelque sens, à quelque degré ou sous quelque rapport que ce soit, par tout dédain, par toute humiliation, par le moindre manque d’égards. Dans la mesure où elle sert de base au sentiment de l’honneur, cette propriété peut avoir une influence salutaire sur la bonne conduite de beaucoup de gens, en guise de succédané de leur moralité ; mais quant à son action sur le bonheur réel de l’homme et surtout sur le repos de l’âme et sur l’indépendance, ces deux conditions si nécessaires au bonheur, elle est plutôt perturbatrice et nuisible que favorable. C’est pourquoi, à notre point de vue, il est prudent de lui poser des limites et, par de sages réflexions et une juste appréciation de la valeur des biens, de modérer cette grande susceptibilité à l’égard de l’opinion d’autrui, aussi bien pour le cas où on la flatte que pour celui où on la froisse, car les deux tiennent au même fil. Autrement, nous restons esclaves de l’opinion et du sentiment des autres :
Sic leve, sic parvum est, animum quod laudis avarum
Subruit ac reficit.
(Tellement ce qui abat ou réconforte une âme avide de louange
peut être frivole et petit.)
Par conséquent, une juste appréciation de la valeur de ce que l’on est en soi-même et par soi-même, comparée à ce qu’on est seulement aux yeux d’autrui, contribuera beaucoup à notre bonheur. Le premier terme de la comparaison comprend tout ce qui remplit le temps de notre propre existence, le contenu intime de celle-ci et, partant, tous les biens que nous avons examinés dans les chapitres intitulés De ce que l’on est et De ce que l’on a. Car le lieu où se trouve la sphère d’action de tout cela, c’est la propre conscience de l’homme. Au contraire, le lieu de tout ce que nous sommes pour les autres, c’est la conscience d’autrui ; c’est la figure sous laquelle nous y apparaissons, ainsi que les notions qui s’y réfèrent. Or ce sont là des choses qui, directement, n’existent pas du tout pour nous ; tout cela n’existe qu’in- directement, c’est-à-dire qu’autant qu’il détermine la conduite des autres envers nous. Et ceci même n’entre réellement en considération qu’autant que cela influe sur ce qui pourrait modifier ce que nous sommes en et par nous-mêmes. A part cela, ce qui se passe dans une conscience étrangère nous est, à ce titre, parfaitement indifférent, et, à notre tour, nous y deviendrons indifférent à mesure que nous connaîtrons la superficialité et la futilité des pensées, les bornes étroites des notions, la petitesse des sentiments, l’absurdité des opinions et le nombre considérable d’erreurs que l’on rencontre dans la plupart des cervelles ; à mesure aussi que nous apprendrons par expérience avec quel mépris l’on parle, à l’occasion, de chacun de nous, dès qu’on ne nous craint pas ou qi nous ne le saurons pas ; mais surtout quand nous aurons entendu une fois avec quel dédain une demi- douzaine d’imbéciles parlent de l’homme le plus distingué. Nous comprendrons alors qu’attribuer une haute valeur à l’opinion des hommes, c’est leur faire trop d’honneur.
APHORISMES SUR LA SAGESSE DANS LA VIE
A SCHOPENHAUER
La piste de la vacuité, forme sans forme, dans la philosophie orientale
peut être approchée par la théorie du champ quantique
dans l'approche phénoménologique occidentale.
En s’affranchissant des impulsions représentationnalistes (position réductionniste qui suggère que les propriétés de la conscience ne sont rien d’autre que les propriétés des entités, des objets que l’on perçoit ou que l’on vise) transgressives, c’est-à-dire de l’impératif du réalisme scientifique, on pourra enfin voir cette théorie comme ce qu’elle est en son fonctionnement quotidien : une connaissance à fond de la surface des choses, une systématisation optimalement cohérente des procédés d’anticipation des apparences, une grammaire de l’information expérimentale, un succès historique de la stratégie kantienne consistant à mettre au repos les instincts métaphysiques pour atteindre des règles nécessaires anticipant la connexion mutuelle des phénomènes. c’est tout le thème de la relativité des phénomènes, de leur émergence à la rencontre d’un regard informé ou d’un appareillage pré-ordonné, qui se voit délivré du regret sceptique et investi de la valeur de lucidité qui gouverne la pratique du Vide.
Et c’est tout l’équilibre des positions philosophiques, les dominantes et les marginales, les triomphantes et les vaincues, qui se trouve déplacé de manière décisive au profit d’un climat favorisant la compréhension de cette théorie prétendûment incompréhensible qu’est la mécanique quantique. Car comprendre, c’est prendre avec, prendre avec nous, reconnaître comme nôtre.
Ainsi voit-on s’installer la synergie annoncée, la fécondité à double sens entre un état d’être valorisant la flottaison dans "l’ainsi" (le tel quel) et une pure physique du phénomène ;
entre une voie qui nous libère de la hantise du sens (télos) "limite à laquelle cesse un phénomène" et une théorie scientifique qui bloque les élans vers le plus loin et l’ailleurs.
Pas plus que l’application de la théorie quantique aux décisions humaines dépendantes de leur contexte n’exige la communauté de nature entre l’électron et les personnes humaines, (cette synergie entre la méditation, le détachement volontaire et contrôlé) et l’épistémologie quantique ne suppose la moindre identité d’objectifs historiques et de domaines de validité entre le vécu de l’éveil et la pratique des laboratoires. Tout ce qu’elle demande est de prendre la mesure de ce que doit l’acte de recherche à la prédisposition axiologique du chercheur de vérité, à ses restrictions culturelles et à ses ouvertures acquises.
Solidarité et démocratie délibérative P. ROSANVALLON
Peut-on retourner à davantage d’opacité, pour contourner les nouveaux enjeux et rendre plus facile la gestion du social ? Certains en rêvent aujourd’hui, à rebours de toute l’utopie des années 1960 qui voyait dans la visibilité croissante des êtres et des choses la condition d’une démocratie plus apaisée, passant d’un univers passionnel (identifié au règne de l’opacité) à un monde de la discussion rationnelle. Au milieu des années 1960, rappelons-le, l’idéologie démocratique moderniste faisait en effet de l’information le vecteur de la paix sociale, considérant implicitement que les conflits reposaient en fin de compte sur de simples malentendus. C’est dans ce but que le CERC (Centre d’études sur les revenus et les coûts) avait par exemple été mis sur pied pour fournir des bases objectives à une politique globale des revenus. Démocratie et transparence étaient supposées faire automatiquement cause commune.
Les choses apparaissent aujourd’hui plus compliquées. On voit en effet chaque jour que c’est au contraire l’information qui est le grand aliment de la protestation sociale. Le propre de l’information est effectivement d’étendre le champ de référence des individus, leur permettant de regarder toujours plus loin dans le jardin du voisin et donc d’évaluer toujours plus précisément leur situation comparativement à celle d’autres personnes. Or, dans une société complexe, les positions relatives des différents individus et groupes restent toujours discutables. Tant que la société est perçue de façon simplificatrice, structurée en classes supposées homogènes, la question de la justice peut être formulée en termes globaux. Quand cet a priori s’est effacé, la société apparaît pour ce qu’elle est : un entrelacs instable de positions individuelles et de multiples classifications économiques, sociales et professionnelles. Lorsque l’idéologie recule et que l’information sur les situations réelles s’accroît, la discussion des positions relatives des uns et des autres s’étend et se diffracte presque à l’infini.
Il y a un mouvement de publicité croissante auquel on ne saurait s’opposer. La publicité complique et renforce à la fois l’exercice de la démocratie. Une société plus transparente est plus instable et plus vulnérable. La transparence peut devenir un piège. Mais c’est un état que l’on ne peut éviter dès lors que l’ordre politique ne peut plus seulement se conformer à la nature, comme dans les sociétés anciennes, ou au droit, comme dans le premier âge de la société moderne. Production de la solidarité et invention d'une démocratie délibérative vont dorénavant de pair. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la vieille opposition entre droits formels et droits réels, droits politiques et droits sociaux, peut être dépassée, de même que la différence entre l’idée démocratique et l’idée socialiste. C’est désormais du sein d’une théorie élargie de la démocratie que les droits sociaux peuvent être repensés et les droits politiques approfondis, en même temps.
Si l’ancienne opacité était par certains aspects une condition de la solidarité, il est de toute façon impossible de la recréer artificiellement. On peut cependant essayer de distinguer deux sortes de connaissances : celles dont les citoyens disposent les uns sur les autres, » de façon réciproque et celles que les grandes organisations ou l’État possèdent de façon univoque sur les citoyens. On pourrait ainsi dissocier transparence sociale et transparence individuelle, même si la frontière entre ces deux notions reste imprécise et variable. C’est la plus grande transparence sociale qui est irréversible, inscrite dans la logique même de la société moderne. Mais il n’en va pas de même pour la transparence individuelle. Si la société démocratique est fondée sur la liberté et l’autonomie des personnes, elle doit préserver leur for intérieur, leur permettre de rester d’une certaine façon fermées à autrui. La démocratie est au contraire liée dans ce cas au maintien d’une opacité des individus. La protection des libertés est là l’alliée de la solidarité, comme on le voit dans la réglementation des informations que les assureurs peuvent recueillir sur leurs clients.
INFORMATION ET COMMUNICATION
Description éphémère d'une réalité dans l'abîme de l'oubli.
Le déluge de l'information creuse l'indifférence, de plus en plus de personnes susceptibles de la comprendre souhaitent appréhender ce qui concerne leur espace de vie propre, devant l'avalanche informative. Une forme de repli sur soi naît dans les différentes classes de la société.
« Le collectif social appartient sans réserves à l’objectivation des relations humaines, il représente la projection en dehors de l’existence humaine. La vie des masses obéit à la loi de la suggestion collective où la personne disparaît. La masse ou la foule n’est pas le peuple organisé. La masse, elle non plus, n’est pas le « nous ». Si dans les états élémentaires et inconscients, exclusivement émotionnels de la masse, le moi n’éprouve pas de solitude, ce n’est point qu’il communie avec un « toi », s’unisse avec un autre, mais c’est parce qu’il y disparaît, que son sentiment et sa conscience s’y trouvent abolis. » N.BERDIAEV
Gouvernements, médias, entreprises, lobbies font de la communication, elle se nomme également publicité ou propagande.
Communication « com », publicité et propagande ont pour fonction ou effet de conditionner les hommes, donc de les asservir. La publicité notamment utilise le phénomène de subreption.
Les publicités nous laissent croire que l’achat, la consommation sont le passage obligé vers le bonheur, or les dégâts climatiques imposent de revoir notre modèle économique. Cette surcharge publicitaire participe de la pollution planétaire. L'achat du dernier SUV, (dénomination moderne du 4x4), les voyages en avion pour vous évader, (fuyez votre situation qui vous fait souffrir, achetez, partez) ne font qu'accentuer en réalité le malaise, votre malaise, que vous retrouverez sans aucun doute. Ces pistes consuméristes, n'apporteront aucune solution pour votre bonheur.
Parallèlement la situation de la société et de l’enseignement proposé à l’école est plutôt sombre. Pauvreté, chômage galopant, «déchéance» du travail salarié, perte des repères, des valeurs, surdéveloppement des villes dortoirs, quartiers urbains à la dérive. Chaque pouvoir politique engendre une « représentation », une mise en scène de son idéologie au travers de sa communication. Et paradoxalement les tyrans peuvent être adulés par cet effet pervers de domination. Avec l’innovation technique, la société humaine qui devrait être gérée démocratiquement se confronte désormais au déplacement du pouvoir vers des féodalités privées.
L’apparition des réseaux sociaux accentue le phénomène de supercherie.
L’individu, est sollicité par la dictature de l’image, du forum, du commentaire à l’emporte-pièce, il est réduit à une pure fonctionnalité, relégué au statut de l’enfant découvrant le nouveau monde, confronté au vide de la « com ».
Depuis quelques décennies, pour emplir le temps informationnel, l’espace médiatique a « inventé » le « micro-trottoir » ou « la parole est à vous ». Les vraies gens parlent aux vraies gens. L’essentiel est, d’émettre un avis, peu importe la teneur, de créer le débat et la polémique, le taux d’auditeurs étant le ressort.
L’information dans la vie des masses joue un rôle déterminant par la contagion.
La conscience se développe ou s’amenuise par la pression de la communication, par les rapports d’individu à individu et inévitablement par le puissant sur le faible, l’indifférence, permettant cette influence.
L’espoir de partir, pour un monde idéal, vers une utopie politique, permet l’endormissement de la multitude. Dans notre société le discours de l’émetteur revêt une importance, une autorité liée à la fonction, à la personne légitime. Le récepteur entendra et interprétera ces paroles avec crainte ou sagesse selon sa condition.
Les hommes se laissent étouffer par leur nonchalance, ils choisissent de ne pas voir, de ne pas s’émanciper, s’il n’est pas nécessaire de penser et que les conditions de vie sont supportables jusqu’à leurs limites, point n’est besoin d’entreprendre, d’autres peut-être, peu importe, se chargeront de repousser les limites.
Aujourd’hui, l’informatique offre le moyen de multiplier le flux de l’information.
La tentation est grande de centraliser, de réaliser des liaisons permanentes, tout l’art de la rhétorique étant de faire accepter au plus grand nombre ce que la mondialisation présente d’inévitable. L’indifférence et l’iniquité installées, le champ de la circulation générale de la marchandise tient la place prépondérante, la durée de notre vie est découpée en fragments monnayables.
La techno-science, pour ne pas dire la techno-conscience, favorisée par une information où la vérité n’est pas l’objectif prééminent, loin s’en faut, a envahi notre espace vital. Elle est propagée sous la forme du monologue le plus souvent, ainsi l’opinion est-elle prise en otage, incapable de démêler les fils au sein des versions contradictoires.
Acquérir une liberté d’esprit est un véritable tour de force, tant que le principe directeur organisateur est régi par le mieux, le plus rapide, le croître.
Le principe d’organisation a classé l’existence en fractions spécifiques, une organisation cybernéticienne de la production et consommation.
L’information et la communication sont aux prises avec ce nouvel arrangement méthodique. G.O.
NOTRE TEMPS REGARD D'UN PHILOSOPHE
QUAND TOMBE LE MASQUE DES POPULICIDES
Quelle que soit son issue, le mouvement des gilets-jaunes aura au moins eu un mérite: mettre à nu les rouages de ce régime corrompu jusqu’à la moelle depuis que les politiciens de tous bords, "gaullistes" compris, ont décidé de déconstruire ce qui fut le contrat social de la Cinquième République. A force de modifications, de changements, d'altérations, de rectifications, de retouches, ni l'esprit ni la lettre de cette constitution ne sont plus respectés. Nous vivons depuis des années avec une règle du jeu édictée par des faussaires ayant pour nom: Mitterrand et Chirac, Sarkozy et Hollande.
Les logiciens connaissent bien l'argument du bateau de Thésée rapporté par Plutarque: pendant des siècles, on a gardé respectueusement la barque de Thésée, qui avait combattu le Minotaure. Régulièrement, les Athéniens changeaient les planches qui s'abîmaient. Un jour, il n'y eut plus une seule planche d'origine. Certains dirent alors que ça n'était plus son bateau; d'autres affirmaient au contraire que si; pendant que d'autres encore débattaient pour savoir avec quelle planche, la première rajoutée, la dernière enlevée, ou bien celle après laquelle les planches d'origine ont cessé d'être majoritaires, le bateau de Thésée n'a plus été le bateau de Thésée.
Vingt-quatre lois ont modifié la constitution de 1958 jusqu'à ce jour! Sur les 92 articles de départ, il n'en reste plus que 30 d'origine! Elle est donc morte depuis longtemps... On fait semblant de la révérer, or elle est piétinée régulièrement par la classe politique dans l'intérêt de ses opérations de basse police, droite et gauche confondues. Qui peut bien imaginer que la cohabitation et le quinquennat puissent relever de l'esprit gaullien? Qu'un référendum perdu puisse être purement et simplement annulé par la coalition des politiciens maastrichtiens de droite et de gauche? Qui?
Depuis Maastricht, les révisions qui concernent l'Europe vont dans le sens d'une destruction de la nation française au profit de l'État maastrichtien -Traité de Maastricht en 1992, Traité de Lisbonne en 2008. Cette constitution de 1958 est morte: elle est devenue un chiffon de papier, un torchon, une serpillère. Merci Mitterrand, merci Chirac, merci Sarkozy, merci Hollande -et merci Macron qui est un mixte des vices de tous ceux-là: cynisme, démagogie, vulgarité et incompétence...
Les Français en général, et les gilets-jaunes en particulier ont bien compris que, depuis plusieurs décennies, leur constitution leur avait été volée. De Gaulle avait voulu l'élection du président de la République au suffrage universel direct à deux tours; un septennat avec des législatives à mi-mandat, ce qui permettait au chef de l'État de savoir où il en était avec le peuple et où le peuple en était avec lui: en cas de perte de la majorité à l'Assemblée nationale, le Président démissionnait, c'était la sanction du peuple; il pouvait alors se représenter et être réélu, ou pas; le référendum permettait au peuple de donner son avis sur des questions de société majeures: une fois l'avis donné, on le respectait. Quand de Gaulle a perdu le référendum sur la régionalisation, il n'a pas nié le résultat, il n'a pas fait voter les députés pour l'annuler, il n'en a pas fait un second, il n'a pas fait le contraire de ce qu’avait décidé le peuple: il lui a obéi et a quitté le pouvoir. Il y avait dans la lettre, mais aussi et surtout dans l'esprit de cette constitution, un lien entre le peuple et son souverain qui était alors son obligé.
Aujourd’hui, c'est l'inverse: c'est le peuple qui est l'obligé de son président élu après que la propagande eut fait le nécessaire, c'est à dire des tonnes, pour installer l'un des voyageurs de commerce de l'État maastrichtien -depuis Mitterrand 1983, ils le sont tous... Le vote ne s'effectue plus de manière sereine et républicaine, libre et autonome, mais de façon faussée et binaire avec d'un côté le bien maastrichtien et de l'autre le mal souverainiste -la plupart du temps assimilé au fascisme. Cette caricature est massivement vendue par la propagande médiatique d'État ou de la presse subventionnée par lui. L'élection législative perdue n'induit plus la démission, mais la cohabitation; le référendum perdu ne génère plus l'abdication, mais sa négation. Quand le peuple dit au Président qu'il n'en veut plus, le Président reste... Et quand il part à la fin de son mandat, certes, on change de tête, mais la politique menée reste la même.
Tout le monde a bien compris depuis des années que les institutions françaises sont pourries, vermoules, comme une charpente minée par les termites et la mérule: il s'en faut de peu que la maison s'effondre d'un seul coup, avec juste un léger coup de vent. Les gilets-jaunes sont, pour l'heure, un léger coup de vent...
De même, tout le monde a bien compris que la représentation nationale n'est pas représentative: la sociologie des élus, députés et sénateurs, ne correspond pas du tout à la sociologie de la France. Il suffit de consulter la biographie des mandaté : ceux qui sont sur les ronds-points avec leurs gilets jaunes ne risquent pas d'avoir des collègues au Palais Bourbon ou au Palais du Luxembourg! Où sont les paysans et les ouvriers, les artisans et les commerçants, les marins pécheurs et les employés, les balayeurs et les veilleurs de nuit, les chauffeurs de taxi et les ambulanciers dans ces deux chambres? Nulle part... Les ouvriers représentent la moitié de la population active: il n'y en a aucun au Palais Bourbon -le PCF qui ne fonctionne qu'avec des permanents devrait s'interroger sur ce chiffre pour comprendre les raisons de sa crise... En revanche, on y trouve pas mal d'enseignants et de professions libérales, de notaires et d'avocats, des journalistes aussi. Les cadres et professions intellectuelles représentent 76 % des élus: c'est quatre fois et demie plus que leur part dans la population active. L'observatoire des inégalités a publié un texte intitulé "L'Assemblée nationale ne compte quasi plus de représentants de milieux populaires" (29 novembre 2018) qui détaille cette évidence: le peuple n'est plus à l'Assemblée nationale. Pour parler le langage de Bourdieu, on n'y trouve aucun dominé mais plus que des dominants. Dans les gilets-jaunes, c'est très exactement l'inverse: pas de dominants que des dominés!
Si la sociologie des élus est à ce point peu populaire on comprend qu'elle soit devenue antipopulaire. Il n'est pas besoin d'aller chercher très loin les raisons du vote négatif du peuple au référendum sur le Traité européen ni celles qui ont fait des élus les fossoyeurs de ce même vote populaire. La démocratie directe a dit: non. La démocratie indirecte lui a dit: bien sûr que si, ce sera tout de même oui. Je date du Traité de Lisbonne ce clair divorce du peuple d'avec ses prétendus représentants.
Qui peut croire que ces assemblées qui ne représentent déjà pas le peuple dans sa totalité puissent être crédibles quand chacun peut constater que le parti de Mélenchon, qui arrive quatrième au premier tour des élections présidentielles et n'est pas présent au second, dispose de dix-sept députés, pendant que celui de Marine Le Pen qui arrive deuxième et qui se trouve qualifiée au second tour, n'en a que huit? Quelle étrange machinerie politique permet à celui qui arrive quatrième d'avoir plus du double d'élus que celui qui arrive deuxième? Sûrement pas une machine démocratique...
Pas besoin d'être polytechnicien pour comprendre que le mode de recrutement des élus est partidaire et non populaire; les découpages électoraux et les logiques du code électoral sélectionnent des professionnels de la politique affiliés à des partis qui les mandatent et non des citoyens de base qui ne peuvent gagner sans le soutien d'un parti; une fois au chaud dans les institutions, les élus font de la figuration dans un système qui évince le peuple et sélectionne une caste qui se partage le gâteau en faisant des moulinets médiatiques afin de laisser croire qu'ils s'écharpent et ne pensent pas la même chose, or sur l'essentiel, ils sont d'accord: ils ne remettent pas en cause la règle du jeu qui les a placés là; au bout du compte, ceux qui gagnent sont toujours les défenseurs de l'État maastrichtien. Les gilets-jaunes savent que le code électoral, associé au découpage électoral opéré par le ministère de l'Intérieur avec l'Élysée, génère un régime illibéral -pour utiliser et retourner une épithète abondamment utilisée par les maastrichtiens pour salir les régimes qui ne les aiment pas donc qu’ils n'aiment pas. Ce régime est illibéral parce qu’il gouverne sans les gens modestes, sans les pauvres, sans les démunis, sans les plus précaires, sans eux et malgré eux, voire contre eux. Sans ceux qui, aujourd’hui, portent le gilet jaune.
C'est donc fort de ce savoir acquis par l'expérience que le peuple des gilets-jaunes ne veut plus rien entendre des partis, des syndicats, des élus, des corps intermédiaires, des députés ou des sénateurs, du chef de l'État et de ses ministres, des élus de la majorité ou de ceux de l'opposition, mais aussi des journalistes qui, de la rubrique locale à l'éditorial du journal national, font partie de tous ces gens qui ont mis la France dans cet état et ce peuple dans cette souffrance. La démocratie indirecte, le système représentatif, le cirque des élections: ils n'y croient plus. Qui pourrait leur donner tort?
Voilà pour quelles raisons quelques gilets-jaunes proposent aujourd’hui le RIC -le référendum d'initiative citoyenne. Les journalistes qui estiment que les gilets-jaunes ne pensent pas, que leur mouvement c'est tout et n'importe quoi, qu'ils disent une chose et son contraire, qu'ils ne sont que dans la colère ou le ressentiment, de vilaines passions tristes que tel ou tel éditorialiste condamne dans son fauteuil de nanti, qu’ils sont des anarchistes ou des casseurs, qu'ils ne proposent jamais rien, ces journalistes, donc, sont bien obligés, en face de cette proposition majeure, de jouer les professeurs devant une classe de primaire en expliquant que le RIC, c'est du délire.
C'est pourtant, au contraire, une pharmacopée majeure très adaptée à cette démocratie malade, sinon mourante. C'est un authentique remède de cheval qui donne la frousse aux dominants, aux corps intermédiaires, aux élus, aux rouages du système, parce qu'ils voient d'un seul coup leurs pouvoirs mis en péril alors qu'ils les croyaient acquis pour toujours! Quoi: "le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple, mais vous n'y pensez pas? Quelle idée saugrenue!". Si messieurs, justement: c'est la définition que donne le dictionnaire de la démocratie!
Qu'est-ce que ce RIC? La possibilité pour les citoyens de réunir un certain nombre de signatures qui obligent le pouvoir à examiner la question faisant l'objet du RIC, soit au parlement soit sous forme référendaire. "Impossible!" disent les éditocrates comme un seul homme. Or ils oublient que c'est possible depuis des siècles en Suisse et que c'est d'ailleurs ce qui fait de la Confédération helvétique antijacobine une démocratie bien plus sûrement que notre régime oligarchique.
A tout seigneur, tout honneur: le chevau-léger Stanislas Guerini (dans Marianne, le 17 octobre 2018 ), dont tout le monde ne sait peut-être pas encore qu’il est le patron de LREM, procède avec subtilité: Le RIC, c'est la possibilité demain de restaurer la peine de mort! Le RIC, c'est la certitude de la castration chimique pour les délinquants! Le RIC, ce pourrait même être, rendez-vous compte, il ne le dit pas, mais on voit bien qu'il le pense, la possibilité de sortir de l'État maastrichtien!
A la République en Marche, on n'aime pas le peuple, trop grossier, trop débile, trop crétin, trop pauvre, trop bête aussi... Il suffit d'écouter cette fois-ci le président du groupe LREM à l'Assemblée nationale, Gilles Legendre, qui affirme quant à lui, sans rire: "Nous avons insuffisamment expliqué ce que nous faisons. Nous nous donnons beaucoup de mal, il faut le faire mieux. Et une deuxième erreur a été faite, dont nous portons tous la responsabilité : le fait d'avoir été trop intelligent (sic), trop subtil (sic), trop technique (sic) dans les mesures de pouvoir d'achat." (Marianne, 17 décembre 2018)
On ne peut mieux dire que le ramassis d'anciens socialistes, d'anciens hollandistes, d'anciens Modem, d'anciens écologistes, d'anciens LR, d'anciens EELV, d'anciens juppéistes, d'anciens sarkozystes, enfin d'anciens anciens qui constituent la modernité révolutionnaire dégagiste de LREM, méprise clairement le peuple jugé trop débile pour comprendre que l'augmentation des taxes sur l'essence, sous prétexte de transition écologique, est un impôt prélevé sur les pauvres sans qu’ils puissent y échapper, puisqu'ils sont contraints de remplir le réservoir de leurs voitures pour travailler.
Certes, Gilles Legendre est un intellectuel haut de gamme, puisqu’il dispose d'une triple casquette: journaliste, économiste, homme politique, ce qui, avouons-le, constitue trois titres de gloire dans l'État maastrichtien en général et, en particulier, dans la France, l'une de ses provinces depuis 1992. Lui qui a été élève à Neuilly, est diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, puis du Centre de formation des journalistes de Paris, qui a travaillé à Europe 1, au Nouvel Économiste, à L'Expansion, à Challenges, à L'Événement du jeudi de JFK aussi, qui accumule les jetons dans les conseils d'administration, comme la FNAC, qui a créé une boite de consulting, cet homme, donc, est aussi président d'un Observatoire de l'élection présidentielle -prière de ne pas rire... Il a été giscardien en 1974 -et n'a cessé de l'être depuis cette date...
Quelle morgue! Quelle arrogance! Quelle suffisance d'affirmer que le peuple est inculte, abruti, obtus, alors qu'il comprend très bien qu'on le tond depuis des années et qu'il ne le veut plus! En 2005, lors de la campagne contre le non au Traité européen, j'ai assisté à des réunions publiques où des gens simples et modestes qui ne sortaient pas de l'école de Neuilly, qui n'avaient pas usé leur fond de culotte à l'IEP ou au CFJ, qui n'avaient pas dirigé des journaux économiques libéraux, avaient sur les genoux ce fameux traité annoté, souligné, surligné, stabiloté: ils en avaient très bien compris les tenants et les aboutissants. A l'époque, ils ne voulaient pas être mangés à cette sauce-là. Ils ont donc massivement dit non. Des gens comme Legendre et autres giscardiens de droite et de gauche, dont les socialistes, le leur ont tout de même fait manger de force ce brouet. Mais cette fois-ci, les gilets-jaunes le disent dans la rue: ils ne veulent plus de ces gens, de leurs idées populicides, de leur monde dont Alain Minc dit qu'il est "le cercle de la raison", alors qu'il est bien plutôt le cycle de la déraison.
Avec les gilets-jaunes, je prends une leçon: ce peuple que des années de politique éducative et culturelle libérale ont essayé d’abrutir, d’hébéter, d'abêtir, de crétiniser, ce peuple abîmé par des décennies d'école déculturée, de programmes télévisés décérébrés, de productions livresques formatées, de discours propagandistes relayés de façon massive par une presse écrite, parlée, télévisée aux ordres, ce peuple gavé comme des oies à la télé-réalité et à la variété, à la religion du football et à l'opium de la Française des jeux, ce peuple-là, celui dont j'ai dit un jour qu’il était le peuple "old school" et que je l'aimais, ce peuple: il pense. Et il pense juste et droit. Bien mieux que Macron, dont il est dit qu'il fut l'assistant de Paul Ricœur, et sa cour ou ses élus godillots.
On entend peu, très peu, pour ne pas dire pas du tout, le peuple "new school" jadis célébré par Terra Nova. Quand il parle, c'est plutôt d'ailleurs pour dire son soutien, donc sa collusion, avec les gens du système honni par les gilets-jaunes -voyez l'emblématique Mathieu Kassovitz qui tweete: "le peuple qui se bat pour protéger son confort je ne l'aime pas" (25 novembre 2018) -"protéger son confort", quand on est smicard ou à peine!
Sinon, ils sont bien silencieux les gens du show-biz, du cinéma, de la littérature, de la chanson, eux qu’on voit si souvent dans les médias pour combattre la faim et la misère, avec des majuscules, pourvu qu’on ne les oblige pas à prendre parti pour les faméliques et les miséreux, avec des minuscules, qui vivent au pied de chez eux... Ce retour de l'ancien peuple qui fait l'Histoire et souhaite dégager le vieux monde -le faux projet avoué de Macron- me donne le sourire.
le point de vue de Michel ONFRAY
Le crépuscule de la France d’en haut
Les politiciens doivent être au service du peuple et non l’inverse.
Un débat, aussi grand nommé que l’on veuille, peut-il être autre chose qu’un simulacre de démocratie où la malhonnêteté intellectuelle le dispute au manque d’honneur de nos carriéristes politiques qui ne sont plus « serviteurs de l’Etat » mais les obligés d’intérêts privés.
la véritable fracture sociale est ailleurs, elle oppose ceux qui bénéficient de la mondialisation et ceux qui en sont les perdants et n’ont aucun moyen de s’en protéger. Ces derniers sont nombreux et, si rien ne change, leurs rangs vont encore grossir...
=============================================================================
Au 21 °siècle, recharger l’État de nouvelles tâches et de nouvelles pratiques
Le retard dans la prise au sérieux de la mutation climatique fait que personne, pas plus l’État que les citoyens et encore moins les partis dits écologiques , n’a d’idée précise et partageable sur ce territoire vers lequel on doit désormais se diriger.
On sait qu’il faut ancrer toutes les pratiques dans un sol, que les conditions matérielles doivent être « durables », que l’économie doit être « circulaire », mais on sait aussi que chacun de ces souhaits entre en conflit avec toutes les décisions prises antérieurement sur l’équipement des villes, les choix énergétiques, les engagements internationaux, le droit de propriété, les formes d’agriculture, etc. Réorienter vers le terrestre, c’est, par définition, multiplier les controverses sur tous les sujets possibles de l’existence quotidienne et nationale, sans que l’État possède les réponses.
L’État ne peut pas, dans "l’état actuel", savoir quoi faire puisque son organisation administrative est entièrement structurée par l’usage du territoire, de la souveraineté, de l’autorité qui était adapté aux mouvements de modernisation et de développement maintenant mis en péril et suspendus hors-sol par le nouveau régime climatique.
Il faut donc recharger l’État de nouvelles tâches et de nouvelles pratiques pour qu’il sache lui-même comment accompagner à nouveau la société civile en voie de réorientation vers le terrestre. Il faut mettre en avant que cette crise en 2018 et 2019 offre d’abord une occasion formidable de reprendre l’initiative puisque de toute façon, il faudra bien qu’un pays se lance dans cette conversion générale de son mode de fonctionnement pour réconcilier sa définition du territoire avec ses conditions d’existence. Pourquoi pas maintenant ? Pourquoi pas la France ? Être le « pays des droits de l’homme » ne suffit plus à son destin : elle doit être le premier pays qui se lance dans cette aventure. Il y a là une question qui est au cœur de la notion de patrie et, en particulier, de la patrie européenne, puisqu’il s’agit bien de reprendre ces vieilles notions de peuple et de sol, si fondamentales pour l’identité, mais en leur donnant un contenu complètement nouveau qui les rattache au monde réel.
Bruno LATOUR
Philosophe et sociologue
l’Atlantide (extraits). Y.PACCALET
L'intelligence n'est pas là où l'on pense qu'elle est, tant en matière d'écologie que de technologie.
Le pari pascalien de l’écologiste porte sur l’intelligence et la sociabilité de notre espèce, et sur le fait (écrirait Spinoza) qu’elle « tend à persévérer dans son être ». J’ai essayé de croire à l’utopie de la combinaison favorable entre le poids de notre matière grise et notre propension à vivre en tribu. Mon rêve ne fut pas déçu : il fut piétiné. …/…
Que reste-il des conférences :
Je n’ai jamais nourri d’illusion sur le dénouement de la pièce, mais j’ai fait semblant. Il m’est même arrivé (c’est dire l’étendue de mon hypocrisie !) de vanter la sagesse des humains.
1972 Stockholm au Programme des Nations unies pour l’environnement, je rêvais que cette assemblée mondiale serait « fondatrice », qu’elle ouvrirait une ère d’harmonie entre les hommes et la biosphère.
1982, la conférence de Nairobi échoua à cause de la guerre froide.
1992, une paralysie frappa celle de Rio de Janeiro, le commandant Cousteau se fit acclamer par un parterre de chefs d’Etat. A la fin, aucun pays ne se rallia au bonnet rouge du pacha de la Calypso. Les requins les plus dangereux n’étaient pas dans la mer.
2002, on organisa chez Nelson Mandela le sommet de Johannesburg.
On y parla « maison qui brûle » (Jacques Chirac), « développement durable » (tout le monde, ad nauseam), droits de l’homme, santé, énergie, climat, forêt, agriculture, biodiversité... On y vit surtout s’engager un concours olympique de promesses verbales et de résolutions sans suite.
2010, on se réunit à Copenhague pour traiter du réchauffement climatique, dans la logique du projet de réduction des émissions de gaz à effet de serre signé en 1997 et plus connu sous le nom de « protocole de Kyoto ». Intox, mensonges et coups tordus... Les peuples, surtout ceux qui avaient déjà les pieds dans l’eau ou un désert à la place du champ de céréales, attendaient des engagements. Grâce à la puissance financière et médiatique des marchands de carbone, les « climato-sceptiques » (dont l’incarnation française fut Claude Allègre, spécialiste ès rectification de courbes de températures) réussirent à semer le doute. Les médias examinèrent avec soupçon les prévisions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (le GIEC). L’opinion publique pensa : « Chic ! Rien ne presse... » Ce fut une aubaine pour les gouvernants, bien décidés à ne rien engager qui éraillerait la « compétitivité » de leur économie.
2012, on convoqua Rio+20. Mais le ressort était cassé, l’encéphalogramme écologique plat.
On ne vit personne au Brésil, excepté le nouveau président français, François Hollande, pendant dix minutes et les ONG les plus accros à la rédaction.
Le pari pascalien de l’écologiste porte sur l’intelligence et la sociabilité de notre espèce et sur le fait (écrirait Spinoza) qu’elle « tend à persévérer dans son être ».
J’ai essayé de croire à l’utopie de la combinaison favorable entre le poids de notre matière grise et notre propension à vivre en tribu. Mon rêve ne fut pas déçu : il fut piétiné…./…
La nature tue, mais elle n’est jamais méchante ; pas même sous la forme du typhon ou du glissement de terrain, du virus du sida ou de la bactérie du tétanos.
Elle n’a aucune cruauté, mais elle ne nous fera aucun cadeau. Elle ne nous accordera aucune excuse, aucun délai, aucune deuxième chance. Ni préférence, ni passe-droit... Pour elle, nous ne sommes que des édifices provisoires de molécules recyclables — à l’exemple de tous les organismes, y compris de ceux que nous méprisons : le ver de terre, l’acarien ou le cafard.
Les atomes et les molécules composent aussi bien (voyez Cendrillon : les contes de fées ne mentent jamais) le carrosse que les valets, la citrouille que les rats, le prince charmant que la grenouille...
L'Homos sapiens se croit tout permis : il n’est rien.
Je n’ai pas peur de ma mort : je redoute simplement celle de mon espèce. J’y tiens encore un peu. Pas tous les jours, je le confesse...
Je n’irais pas non plus jusqu’à donner ma vie pour tous les individus qui la forment : ma capacité de pardon a des limites.
Je suis convaincu que le genre humain s’éteindra en moins de temps qu’il ne lui en faudrait pour apprendre à devenir raisonnable. Je l’apostrophe dans ces pages : « Tu disparaîtras, bon débarras ! » Mais ce suicide collectif me consterne.
Quand je songe à mes enfants et à mes petits-enfants, je forme des vœux pour que le processus ne s’accélère pas encore.
Je ne prédis aucun avenir radieux à l’humanité, mais je ne puis m’empêcher de lutter pour sa survie. Quel est l'avenir d'une espérance de vie augmentée, dans un monde qui ne cesse de diminuer. Ce livre concerne toutes les strates de la société humaine. Bien entendu, l'intelligence n'est pas située dans le mercantilisme mais dans l'humanisme. A lire pour agir…mais pas demain…
août 2020
Le pandémonium de l’information.
Le gouvernement a supprimé sa page « Désinfox coronavirus ». Son objectif a posé question auprès du Syndicat national des journalistes qui a d’ailleurs déposé un recours en urgence devant le Conseil d’Etat lui demandant d’enjoindre au Premier ministre de supprimer cette page au plus vite. Elle était censée aider le peuple à discerner le vrai du faux dans l’agitation médiatique. Comment ? en proposant une série d’articles issue des « décodages » tels que « Vrai ou Fake de FranceInfo », « les décodeurs du monde » ou le « fake off de 20 minutes », etc. Or il était urgent de faire cesser immédiatement « l’atteinte grave et manifestement illégale portée aux principes de pluralisme dans l’expression des opinions et de neutralité des autorités publiques». Dans notre société le discours de l’émetteur revêt une importance cruciale, le discours de l’autorité liée à la fonction, le discours de la personne légitime. Le récepteur entendra et interprétera ces paroles avec crainte ou sagesse selon sa condition. Depuis le début de la crise sanitaire de nombreuses personnes ont décidé d’arrêter de se laisser gaver par le bruit médiatique et de ne plus regarder ni d’écouter les infos en boucle, afin d’éviter l’implosion. Cette quantité d’information est devenue anxiogène. Un étrange désordre psychique s’est également installé. Il fut diagnostiqué par Rousseau en son temps lorsqu’il craignait l’avènement d’une société régie par l’intérêt individuel, gangrenée par l’envie, l’insatisfaction, la vanité.
Un problème cognitif de saturation et de capacité à comprendre a pris naissance avec la saturation informationnelle. Une situation qui peut avoir de réels dommages sur notre mental et nos comportements. On parle aujourd’hui de brouillard informationnel et de syndrome de choc lié à l’information.
Le déluge de l'information creuse l'indifférence, de plus en plus de personnes susceptibles de la comprendre souhaitent n’appréhender que ce qui concerne leur espace de vie propre, devant l'avalanche informative. Une forme de repli sur soi naît dans les différentes classes de la société.
L’humanité est-elle un hasard, un accident biologique, une faillite, une absence de justification ? Au travers de ces considérations, si on se remettait à lire, à choisir, à trier nos sources d’information. Qui, en est capable ! G.O.
La dictature du progrès
Le progrès est attaqué, mais par qui !
Le premier symptôme c’est la disparition du mot lui-même. A partir des années quatre-vingts, la fréquence du mot et pas seulement en France, dans le discours public commence à baisser. Le mot innovation resurgit. Le croisement des courbes de fréquence de ces deux mots, celle qui monte et celle qui descend a lieu au début du vingtième-et-unième siècle. La disparition du mot progrès s’opère entre 2007 et 2012.
A l’élection de 2007 en France tous les candidats ont utilisé le mot progrès dans leurs discours. En 2012, plus aucun. Comment se fait-il qu’un mot qui a été si important dans l’histoire, a-t-il pu disparaître en si peu de temps ? Pourquoi a-t-il été remplacé par un mot qui n’est pas à priori son synonyme ? Peut-il y avoir des innovations sans progrès et des progrès sans innovations ? On voit bien qu’il y a une corrélation mais est-elle stricte ? Dans la rhétorique on voit bien que le mot « innovation » ne rend pas justice à l’idée de « progrès ».
Avec un collègue philosophe on a regardé, assez rapidement, l’histoire du mot innovation. Grossièrement, c’est un mot de la théologie du 13°siècle, « innovatio », une thèse qui commence à s’éloigner du dogme. Une idée qui menace de devenir hérétique. Une interprétation des textes. Puis, ça devient un vocabulaire juridique, « innovatio » c’est un avenant à un contrat, sans changer l’esprit du contrat.
Dans le livre « Le Prince », Machiavel reprend ce mot en politique. Le Prince quand il a le pouvoir, ne doit pas innover, il ne doit le faire que si son pouvoir est menacé.
Francis BACON, philosophe auquel KANT dédiera plus tard la « critique de la raison pure », au motif que BACON a inventé le mot « Progrès ». Le mot existait déjà et signifiait avancée dans l’espace. L’idée de BACON est de temporaliser le mot progrès en disant qu’il nous déplace au cours du temps, vers le meilleur. Dans un livre publié en l’an 1632 Francis BACON y écrit un chapitre qui s’intitule « l’innovation ». Il parle de l’innovation technique, déjà, exactement comme nous, aujourd’hui. Il s’appuie sur l’idée d’un temps corrupteur, les forces du bien sont maximales au départ, les forces du mal se développent et si on fait le bilan final, c’est le mal qui l’emporte. Comment empêcher le mal de l’emporter, en innovant. L’innovation ne doit pas être trop rapide car si elle est trop rapide, elle est trop neuve. Elle dérange tellement les habitudes, qu’elle est rejetée comme une étrangère. Si au contraire, l’innovation se fait trop lentement, les dégâts produits par le temps qui passe, deviennent irréversibles de sorte que plus rien ne peut les annuler ou les contrecarrer. Il faut innover au rythme du temps moyen. Si vous lisez le rapport de la commission Européenne qui propose, vous le savez, en 2021 de faire de l’union Européenne, l’union de l’innovation. On passe de société de la connaissance à une société de l’innovation. Si on lit le texte de cinquante pages qui présente l’innovation, ce mot y paraît trois cents fois sans que nulle part il soit défini. Vous verrez que dès la première page ça ressemble à du BACON. Il est dit l’Europe est face à des défis colossaux, changement climatique, raréfaction des ressources, vieillissement des populations, problèmes de santé, de pollution, etc. l’Europe ne pourra relever ces défis que par l’innovation. C’est exactement BACON, c’est l’idée que le temps est corrupteur, le temps abime les choses.
Il est paru un article dans le Monde signé par quinze-mille scientifiques de 184 pays, la démographie, la déforestation, l’émission de CO2, la réduction de la biodiversité, ce sont des paramètres qui deviennent très critiques. Donc on a l’idée que le futur va contenir de la catastrophe et nous devons agir pour la prévenir.
Moi je n’ai pas de jugement à porter là-dessus, je regarde simplement les rhétoriques or définir nos actions présentes à partir de l’examen critique du présent, ce n’est pas du tout l’esprit des lumières ou l’esprit du progrès. L’idée de progrès s’appuie au contraire, sur l’idée d’un temps qui n’est pas corrupteur, mais qui est constructeur. Le temps est complice de la liberté, c’est-à-dire que, on définit ses actions quand on croit au progrès, non pas à partir du présent mais à partir de la confiance dans un futur collectif. Il faut avoir confiance en soi, l’idée que je peux dessiner un futur, le configurer d’une façon crédible. C’est pas l’utopie, ce n’est pas l’espérance non plus, c’est, je configure le futur d’une façon qui est crédible, je sais tracer un chemin, qui me fait passer de l’état où je suis à l’état où je voudrais être. Il y a une ligne et cette ligne n’est pas absurde. Il faut que ce futur soit attractif. Le progrès suppose d’avoir une certaine idée de la vie. C’est cette idée que l’on veut réaliser par du travail et du sacrifice. Pour que le mot progrès ait du sens, il faut qu’il soit inséré dans une philosophie de l’histoire. Je pense que si on ne parle plus « progrès », c’est parce que nous n’avons plus de philosophie de l’histoire.
Nous ne sommes plus capables de configurer 2050 ou 2100. Plus personne n’en parle. Si on compare le futur d’aujourd’hui qui est absent de nos représentations, avec le futur des années 70, il était alors, constamment question de l’an 2000, c’était une époque où on ne parlait jamais du présent, on ne parlait que du futur. Evidemment cette prospective s’est révélée en partie fausse, par exemple on ne voit en 2020, toujours pas de voitures volantes, mais des tas de choses sont apparues qui n’avaient pas été prévues. Internet entre autre. L’usage du mot « progrès » s’est annulé parce que nous ne savons plus dessiner autour du futur un projet qui nous fasse envie ou parce que c’est un effet purement numérologique ? L’an 2000, c’était un changement de millénaire qui a mis en tension l’humanité. On a du mal aujourd’hui à retrouver un horizon aussi fort. L’an 2000 a joué le rôle du sommet d’une montagne, le but. La descente ensuite nous éloigne de notre but. Il est passé. C’est le sentiment d’un temps qui décline ensuite. La rhétorique du progrès telle que l’avait étayé les philosophes des lumières, cette rhétorique a été dénoncée par l’histoire. Ce n’est pas aussi simple qu’ils ne l’avaient imaginé. On ne passe pas directement d’un progrès scientifique à un progrès technologique, puis d’un progrès technologique à un progrès matériel, puis d’un progrès matériel à un progrès moral, puis d’un progrès moral à un progrès politique.
Ce n’est pas l’idée de progrès qui est l’agent de nos actions.
Dans le « déclin du courage », quand Soljenitsyne sort du goulag il a pu quitter l’URSS à l’époque, il a été accueilli par l’université américaine. Il va donner une conférence et les américains sont persuadés qu’il va condamner le système soviétique et encenser le système libéral américain. En fait il décrit le déclin du courage, il dit, vous, vous avez cru au progrès avec l’idée que le salut était terrestre, ce qui est possible sans doute mais vous avez visé trop bas. Vous avez visé le ventre, au lieu de viser la tête. Vous mangez comme des porcs, vous êtes dans la consommation à outrance et intellectuellement ce n’est pas brillant.
Pour illustrer ce propos, prenez quelques philosophes des lumières, par exemple CONDORCET, d’ALEMBERT, GALILEE, SPENCER, vous les mettez dans une capsule temporelle pour qu’ils quittent le dix-huitième siècle et arrivent en 2017, vous leur montrez progressivement, ce que l’on a fait de leurs idées étape par étape.
Première étape vous les emmenez dans une classe de terminale, pour un cours de mathématiques. Ils vont être éberlués par rapport à ce qu’ils connaissaient. Ils vont voir par exemple ce que sont les matrices, ils vont être admiratifs, cela dit je ne dis pas que les élèves de terminale en savent plus qu’eux, eux savaient beaucoup de choses, que les élèves ne savent pas, mais il y a quelque chose qui ressemble à un progrès sinon dans les idées mais tout au moins dans la transmission.
Ensuite vous les emmenez au CERN à Genève, vous leur expliquez que grâce à cette machine on a découvert le Boson de Higgs qui montre que la masse des particules élémentaires, n’est pas une propriété qu’elles possèdent de par elles-mêmes mais qui vient de leur interaction avec le vide, ce qui change la relation qu’on a toujours imaginé entre la notion de matière et celle de masse.
Ils vont dire, tient, les découvertes de physicien change les problématiques philosophiques. Extraordinaire, il y a donc des découvertes philosophiques négatives faites par les physiciens ? Ensuite vous leur dites, vous savez au dix-neuvième siècle on a découvert une nouvelle interaction qui s’appelle l’électromagnétisme avec les équations de Maxwell et un siècle plus tard, les ingénieurs ont utilisés ces équations pour faire une boîte parallélépipédique, qui est capable de transmettre du son et des images, ça s’appelle une télévision. Alors ils vont dire qu’est-ce que vous faîtes avec cela ? Vous diffusez les cours du collège de France dans tous les foyers ? Et là vous les amenez devant une chaîne commerciale vous les plantez sur le divan avec interdiction de le quitter même pendant les publicités.
Et là ils vont dire, mais qu’est-ce que vous avez fait ? Ils vont dire que le but atteint n’est pas le but visé. C’est cela qu’il faut interroger. Je ne dis pas qu’il faut sauver le progrès, mais je pense que si on croit au progrès, alors il faut soumettre cette idée à elle-même. Faire progresser l’idée de progrès. Derrière l’idée de progrès il y a quand même un peu l’idée de la guillotine… au sens où dès qu’on définit un homme nouveau on a tendance à éliminer ceux qui ne participent pas à la définition d’un homme nouveau. LENINE parle de l’homme nouveau, HITLER parlait des Aryens comme étant le futur de l’humanité. Il y a des naïvetés incroyables, d’ALEMBERT écrit dans un article en parlant du géomètre : prenez une société tyrannique, formez quelques géomètres ou mathématiciens, quelques temps plus tard, cette société se sera libérée de son joug. Bon, on aurait pu lui organiser un petit voyage en Corée du Nord où il y a d’excellents géomètres et une tyrannie abominable. D’autre part, derrière l’idée de progrès il y a l’idée de bien, penser que le négatif est relatif et ce qui ne va pas n’est pas condamné à toujours aller mal. Pour cela l’idée de progrès met la société en crise. On est en crise depuis trois ou quatre siècles, pourquoi ? Vous devez imaginer un futur différent du présent, comparer la société aujourd’hui à ce qu’elle pourrait être si elle était mieux. Le problème c’est que l’on n’est pas d’accord sur ce que l’on appelle le bien. C’est toujours au nom du bien que l’on commet ses actions. Ça agace mes étudiants quand je leurs dis cela, mais quelle est la philosophie politique qui décrit ce qu’est une bonne société ? C’est le nazisme. C’est une philosophie du bien. Je m’empresse de dire que ce n’est pas une bonne philosophie. Mais c’est une philosophie politique qui dit exactement ce que doit être une bonne société. Dedans il y a des aryens, il n’y a pas de malades mentaux, tout ce qui est anormal, on le « vire ». Voir aussi les communiqués de daech. On a fait cela pour le bien. C’est toujours cela. C’est toujours au nom du bien qu’on fait la guerre, qu’on fait le mal, qu’on agit. Il y a une ambiguïté qui vient de ce que le bien et le mal ne sont pas si nets, on est dans une relation beaucoup plus dialectique, ce n’est pas une relation d’opposition, l’analyse des situations est toujours compliquée. Si vous croyez au bien, vous allez mettre en œuvre tous les moyens pour le faire advenir et ça peut faire du dégât autour de vous. Pour progresser il faudrait définir ce qu’est le mal plutôt que d’essayer de définir un bien sur lequel on ne sera jamais d’accord. La situation de la France du point de vue économique est plutôt bonne en 2017, mais on voit que quand on essaye de chiffrer la confiance dans l’avenir, on est derrière l’Afghanistan. On est en pleine déprime, on pense que l’avenir va être pire. J’ai interrogé l’économiste D.COHEN à ce sujet. Et bien quand vous avez atteint l’équivalent du bonheur, vous constatez assez vite que ça ne vous rend pas heureux, parce que vous avez peur de le perdre. La première cause du malheur, c’est quand même le bonheur. L’idée de bonheur, est une idée catastrophique. C’est précisément cette idée qui nous rend malheureux. On a une conception du bonheur tellement précise, que tout écart par rapport à elle, vous rend malheureux. La première chose c’est de supprimer cette idée de bonheur qui est ravageur. D.COHEN disait ce qui explique la dépression française, c’est la collaboration. On a été vaincu militairement et à peine vaincu, on collabore et c’est là, dit-il, que l’on commence à perdre confiance dans les autres et dans les institutions, en France. On est le pays qui a le moins confiance dans ses institutions de toute l’Europe. La collaboration fut une guerre civile larvée en quelque sorte. Campagnes de dénonciation nombreuses, il n’y a pas d’équivalent en Angleterre par exemple. Certes les Anglais n’ont pas été envahis mais je ne crois pas qu’ils aient collaboré en quoi que ce soit.
Une enquête aujourd’hui qui montre l’absence de confiance dans les autres, imaginez que vous perdiez votre portefeuille dans la rue, à votre avis quelle est la probabilité qu’on vous le ramène ? Les français répondent quasiment zéro pour cent. Les danois répondent cent pour cent. Comment peut-on faire évoluer ce rapport aux autres et au futur ? Nous sommes beaucoup plus prompts à juger nos actions que nos inactions. Quand quelqu’un fait quelque chose, on voit tout de suite les risques et nouveaux risques que son action va engendrer.
Personne ne vous reprochera quoique ce soit si vous ne faîtes rien. Prenez des questions sur les sciences, on ne prend pas vraiment de décision sur les OGM, sur l’énergie, sur le nucléaire etc… et on dit, puisque on ne prend pas de décision il n’y a pas de risque. Le fait de ne pas prendre de décision retarde les décisions qui, en étant retardées, vont engendrer des risques.
Maintenant, notre rapport au risque a changé, puisque nous nous définissons comme la société du risque, alors que nous risquons beaucoup moins que nos ancêtres. Imaginez que vous vivez en 1914, il y a 300 élèves dans une promotion, à la fin de l’année, il en manque 50. Après d’ailleurs, ça a empiré. A cette époque-là les gens ne disaient pas, nous sommes la société du risque. A l’époque les gens mourraient à tous les âges. Aujourd’hui on meurt tous quasiment au même âge. L’idée de progrès était une idée qui donnait sens au risque. Comme le disait KANT, c’est une idée à la fois consolante et sacrificielle. Elle est sacrificielle parce que le progrès n’est pas automatique, il faut travailler pour le faire advenir, on se sacrifie pour les autres et les autres profiteront de notre travail. A terme le progrès proposera à tous un soulagement. Le chemin est chaotique, il y a des accidents. Mais les accidents sont insérés dans une rhétorique qui leurs du sens. En 1848, il y a eu en France le premier gros accident de chemin de fer.
A Meudon, il y avait 52 passagers dans le train, tous sont morts. La plupart carbonisé. Il y a eu un débat, le chemin de fer ça tue des gens. Ce parcours qu’ils ont pu faire, ils auraient pu le faire à cheval, à une vitesse quasiment équivalente à celle d’un train. Donc pourquoi faire des trains ? LAMARTINE qui était député monte à la « Chambre », prononce un discours magnifique et il le conclut en disant : « plaignons-les, plaignons-nous, nous sommes en deuil, mais marchons ».
Ce n’est pas un accident qui va changer la marche de l’histoire. Aujourd’hui vous voyez bien que si un ministre tenait ce genre de discours, après un tel accident, il serait immédiatement exclu. Dès qu’il y a un accident, il faut montrer que l’on va prendre des mesures dans tous les sens pour empêcher qu’il se répète. Notre rapport au risque est modifié par cela et ça met la notion d’innovation, en tension puisque innover par définition, c’est créer de la nouveauté, créer de l’inédit, changer les choses d’une façon que l’on ne peut pas toujours prévoir. Tous les cerveaux deviennent schizophréniques parce qu’il faut innover et être précautionneux.
Pour moi la société, ce n’est pas une entité qui s’exprime, de part elle-même, je ne suis pas sûr que dans la vie d’un citoyen, il y ait des circonstances où il puisse dire, j’ai entendu la société.
Il a entendu des gens, qui s’expriment, des mouvements. Ce qui manque ce sont des lieux ou des protocoles en fait, qui nous permettent de définir ce que nous voulons, à long terme.
Regardez les campagnes présidentielles, on ne parle jamais du long terme. On est dans la gestion des affaires courantes. Sommes-nous capables de décider d’une façon démocratique, de ce que nous voulons. Je n’en suis pas sûr. Ce qui va se passer, dépend tellement de nous, mais aussi de facteurs sur lesquels nous avons peu de maîtrise, que c’est très difficile de produire à propos du futur, des discours crédibles, qui ne soient pas catastrophiques. Aujourd’hui on ne croit plus du tout en la révolution, on croit en la catastrophe. On propose une image du futur suffisamment répulsive et crédible, pour mener des actions qui vont empêcher la catastrophe à venir. Il y a beaucoup trop de sujets sur lesquels on se prononce un peu comme on se prononce sur facebook. « j’aime, j’aime pas », mais on s’en fiche des opinions. Il faut décider.
Exemple, que quelqu’un dise, je suis pour le nucléaire, ou contre le nucléaire, ça avance à quoi ? On s’en fiche complètement. Si vous êtes pour, vous devez dire comment vous allez renouveler le parc, avec quel type de réacteur, de l’uranium 235 ou autre chose, qu’est-ce que vous faites des déchets, etc. C’est cela la question. Si vous êtes contre, vous devez dire comment vous démantelez le parc et puis comment vous produisez l’électricité sans faire exploser l’atmosphère par des émissions de CO2 dramatiques. C’est cela la question.
Dans les débats c’est en amont que ça se passe, on est dans des guerres de tranchées, ça n’avance pas. On manque beaucoup de maturité. Je me souviens que, quand j’étais adolescent, j’ai vérifié auprès de personnes qui ont le même âge que moi, quel est le sens de la phrase : on n’arrête pas le progrès ? A l’époque cette phrase était un jugement moral. Ça voulait dire le progrès étant une bonne chose, il ne serait pas bien au sens de la morale que de vouloir l’arrêter. Un salut enthousiaste adressé au futur. Aujourd’hui j’ai demandé à mes étudiants que signifie donc cette idée ? Pour eux, ce n’est pas du tout un jugement moral, pour eux c’est une impossibilité pratique. Ce qui fabrique l’histoire aujourd’hui, qui détermine notre futur échappe complètement à notre volonté.
Ce qui détermine le futur est organisé par des mégastructures qui décident de notre avenir ou le provoque sans l’avoir décidé, sans que nous soyons consultés. Ça ressemble à une théorie du complot, il y aurait des gens dans les cabinets qui décideraient du futur. Voyez bien que même sur des sujets assez triviaux, on a du mal à organiser le débat. Prenez l’an 2030 comme horizon, est-ce que en 2030, il y aura encore des cours en amphithéâtre ? Que veut-on ? Des cours que les élèves vont étudier devant leurs écrans, ou est-ce que l’on tient à ce que la transmission se fasse encore dans une espèce de corps à corps, un professeur qui sait et des étudiants qui veulent apprendre. Si on discutait de cela, il y aurait un débat assez « chaud ». Mais on a encore un pouvoir de décision.
Là où l’idée de progrès a trahi, dire cela est un abus de langage, le progrès n’a rien promis, mais quand on lit les philosophes des lumières, quand ils parlent du progrès, ils considèrent qu’il s’applique au genre humain et que sa diffusion sera dans l’espace et le temporel sur toute la surface du globe et pour toutes les générations. C’est là que les surprises et les désaveux ont été les plus grands. Le progrès ne se diffuse pas vraiment spatialement, il peut y avoir des reculades temporelles et l’argument théorique de la colonisation, c’est le progrès. Ces gens sont en retard par rapport à nous, on va les mettre en phase avec le cours de l’histoire que nous représentons. Si vous voyagez un peu, autrement que de grands hôtels en grands hôtels, si vous pénétrez dans les terres, vous verrez que les conditions de vie sur la planète n’ont jamais été aussi différentes. Entre quelqu’un qui vit avec toutes les ressources médicales que donnent les technologies d’aujourd’hui et une autre personne qui vit ailleurs avec un dollar par jour, on se demande si on partage la même condition humaine.
Au 12°siècle, au moyen âge, un Duc, avait un statut symbolique bien supérieur au serf. Mais quand le Duc avait une rage de dents, il n’était pas mieux soigné que le serf il avait aussi mal que n’importe qui.
Aujourd’hui les conditions de vie sont tellement différentes qu’on peut se demander si les liens d’empathie sont toujours présents. ARENDT posait cette question sur la condition de l’homme moderne, est-ce que les technologies changent les conditions de vie humaine ? La réponse est oui. Est-ce que ça va changer, dit-elle ensuite, la condition humaine ? Le rapport à autrui, le rapport à la vie, le rapport à la mort ? Oui les rapports sont modifiés. Ensuite nouvelle question, est-ce que ça changer la nature humaine ? Il y a un milliard sept-cents millions de personnes qui n’ont jamais vu une prise de courant de leur vie, on fait exactement comme si ils n’étaient pas là. Nous, on a l’impression qu’on est tous « branchés ». Or beaucoup de gens sont absents de notre représentation. Pour réhabiliter l’idée de progrès il faut un progrès moins différentiel, sinon l’humanité va se cliver.
Moi je n’ai jamais cru que ça irait bien, quand l’idée de progrès a promis l’arrêt des catastrophes, relisez le discours de VOLTAIRE après le tremblement de terre de Lisbonne, VOLTAIRE explique que l’on pourra prévenir les tremblements de terre, contre ROUSSEAU, il explique qu’il n’y aura bientôt plus de catastrophes. C’est une forme de naïveté incroyable.
Il y aura toujours des catastrophes, naturelles ou pas naturelles. On ne voit pas comment on va pouvoir échapper à une misère généralisée à cause de la réduction de la biodiversité, des problèmes d’énergie, de toute une liste de choses assez dramatiques.
Dans ce contexte-là comment agir, qu’est-ce qui donne sens à nos actions ? Il ne s’agit pas de promettre la lune, il faut réhabiliter un truc tout bête, c’est le courage et une restauration du langage. On bricole trop le langage, on le bricole tellement qu’on ne peut plus nommer le réel.
Il y a beaucoup de phrases, de slogans dans les entreprises, par exemple, qui n’ont aucun sens. On perd le sens descriptif du langage. Exemple, slogan : « le futur est déjà là », mais c’est quoi ça ! Il n’est évidemment pas déjà là. Si le mot présent est synonyme du mot futur, je ne vois pas comment on va pouvoir élaborer une philosophie de l’histoire.
En conclusion quel est le message futur ? C’est : ça va être dur, il faut être courageux, mais ce sera intéressant. E. KLEIN